Dénonciations, enquêtes, reportages, commissions, rapports, caméras de vidéosurveillance... Pratiquement tout a été essayé pour forcer le gouvernement à mieux traiter les Québécois qui habitent dans un centre d'hébergement et de soins de longue durée (CHSLD), sans grand succès. Ce n'était donc qu'une question de temps avant que le réseau de la santé ne se retrouve avec une demande d'action collective. La requête du Conseil pour la protection des malades convaincra-t-elle enfin l'État de remédier aux situations déplorables qui persistent dans ces établissements? C'est à ce résultat, bien plus qu'aux éventuelles sommes accordées aux victimes, qu'on jugera de la valeur de cette action.

Daniel Pilote est presque entièrement paralysé, à l'exception de sa tête et de sa bouche. Et avec cette tête et cette bouche, ce résidant de Saint-Jean-sur-Richelieu est devenu le visage et la voix de la plus vaste action collective jamais intentée contre les conditions de vie en CHSLD. Contrairement aux aînés qui, dans bien des cas, restent moins d'un an dans ce type d'institution, M. Pilote, qui est âgé de 56 ans, habite au CHSLD Champagnat depuis plus de quatre ans. Et les soins prodigués par un personnel insuffisant et pressé, qui heurte son corps inerte, ne le lave pas correctement ou applique la mauvaise canule sur sa trachéotomie, sont une atteinte à sa dignité et à sa sécurité, expose la requête. «Je trouve ça inconcevable de vivre dans des conditions de maltraitance», a-t-il résumé en conférence de presse hier.

L'action n'a pas encore été autorisée, et les traitements dénoncés n'ont pas été démontrés devant un tribunal, mais ils sont tristement familiers. Résidants qui, sans être incontinents, sont mis aux couches pour que le personnel n'ait pas à les accompagner aux toilettes, malades surmédicamentés, mal alimentés ou privés de soins d'hygiène : bonne chance au gouvernement qui osera affirmer qu'il s'agit de cas isolés.

Des centres ayant des pratiques dignes d'être citées en exemple, il y en a, bien sûr. Mais il sera bien difficile de prétendre qu'il s'agit de la règle quand il y a autant d'exceptions.

Le premier ministre et son ministre de la Santé ont rappelé hier les investissements faits par leur gouvernement, notamment au point de vue du personnel, des menus et des infrastructures. Peut-être, sauf qu'on ne peut pas demander aux résidants qui, en ce moment même, ne sont pas traités adéquatement, de se taire en attendant que les remèdes promis fassent effet.

Évidemment, la perspective de voir l'État et, donc, l'ensemble des contribuables, obligés de dépenser des sommes faramineuses pour affronter un tel recours et, peut-être, dédommager des milliers de victimes, est loin d'être idéale. Les gouvernements qui se sont succédé à Québec auraient mieux fait d'allouer, à l'intérieur de leurs budgets, les ressources nécessaires pour donner des soins et services adéquats en CHSLD. Ça permettrait aujourd'hui de faire reconnaître une telle poursuite comme non fondée. Malheureusement, cette action n'a rien de frivole.

D'autres actions collectives contre des petits groupes de CHSLD ont été intentées et réglées au fil des ans, sans que la situation générale ne soit corrigée. Les mégafusions du gouvernement Couillard permettent aujourd'hui, en ciblant seulement 22 centres de santé et services sociaux (les fameux CISSS et CIUSSS), de toucher tous les CHSLD publics de la province. Il faudra voir si ça convaincra enfin Québec d'offrir une prestation décente dans l'ensemble de son réseau.

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