Qui aurait cru que des emballages de biscuits puissent susciter autant d'émoi ? Non seulement les logos proposés par Santé Canada pour signaler les aliments riches en sucres, en gras saturés ou en sodium sont critiqués par de nombreux fabricants canadiens, mais l'administration Trump tente d'utiliser l'ALENA pour les faire interdire. Ottawa ne doit pas se laisser marcher sur les pieds.

Quatre modèles de pictogrammes sont envisagés pour permettre aux consommateurs de repérer plus facilement les aliments transformés à forte teneur en sucres, gras saturés ou sodium. Santé Canada consulte actuellement la population à ce sujet, mais les Américains se sont aussi invités dans la discussion.

Le bureau du représentant au Commerce extérieur, qui pilote les négociations de l'ALENA pour les États-Unis, demande qu'aucun des trois partenaires de l'accord ne puisse imposer des avertissements sur le devant des emballages alimentaires, a révélé le New York Times le mois dernier. Une proposition confirmée par le représentant au Commerce, Robert Lighthizer, qui craint que l'imposition de tels symboles ne serve à créer « un environnement protectionniste ».

Pas besoin d'aller aussi loin pour sentir le ressac : plusieurs manufacturiers et représentants de l'industrie alimentaire canadienne ont fait part de leur opposition et de leurs réserves à Santé Canada au cours des derniers mois.

Que les fabricants préfèrent garder le contrôle sur le devant de leurs emballages, on peut le comprendre. Pour l'instant, les informations nutritionnelles sont confinées sur les côtés ou à l'endos, et la façade sert plutôt à promouvoir le produit. Les mises en garde de Santé Canada auraient des allures de points noirs sur leur visuel alléchant. Et surtout, elles seraient pas mal moins flatteuses que les mentions qui y figurent actuellement - comme « source de » (fibres, calcium, oméga-3, etc.), « sans » (cholestérol, sucre ajouté, gluten, etc.) ou « faible en » (calories, sodium, lipides, etc.).

Mais accuser les pictogrammes de Santé Canada de visées protectionnistes ? C'est vraiment tiré par les cheveux ! 

La réglementation proposée n'interdit aucun produit, elle cherche simplement à attirer l'attention sur certains ingrédients.

La véritable explication, en fait, se trouve à l'extérieur de l'ALENA. La Grocery Manufacturers Association, qui représente les plus grands fabricants d'aliments et de boissons des États-Unis, s'inquiète de l'impact des lois chiliennes, rapporte le New York Times.

Le gouvernement chilien a fait figure de pionnier en implantant, à l'été 2016, un système de pictogrammes en forme de panneau d'arrêt pour signaler les aliments à haute teneur en sucre, en gras saturés, en sodium et en calories. Une douzaine de pays d'Américaine latine, et quelques autres, comme Israël, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et le Canada, l'ont consulté pour développer leur propre réglementation, indique le ministère chilien de la Santé.

Des multinationales de l'agroalimentaire ont attaqué la loi chilienne devant les tribunaux, mais il faut savoir que cette loi ratisse autrement plus large que le projet de règlement canadien. La vente d'aliments portant un pictogramme « alto en » (à teneur élevée en...) est interdite dans les établissements scolaires. Ces produits ne peuvent pas non plus être publicisés auprès des moins de 14 ans - et la présence de personnages sur l'emballage fait partie des critères servant à déterminer si les jeunes sont ciblés.

L'étiquetage proposé par Ottawa, lui, permettra seulement aux Canadiens qui surveillent leur consommation de sodium, de sucres ou de gras saturés de repérer plus facilement les aliments qui en contiennent beaucoup. On peut difficilement faire moins subversif ! 

Des fabricants décideront peut-être de reformuler certains de leurs produits pour éviter d'avoir à y apposer un pictogramme, mais ce sera leur choix. Personne ne les forcera à le faire.

« La proposition américaine n'est pas acceptable », a indiqué le négociateur en chef pour le Canada, Steve Verheul.

Heureusement, mais gardons l'oeil ouvert. Il ne faudrait pas que, dans son désir de sauver l'ALENA, le Canada cède un droit aussi élémentaire que celui de réglementer l'étiquetage des aliments vendus sur son territoire.

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