Chirurgien colorectal depuis 42 ans, le Dr Philip Gordon avait de la compassion pour ses patients. Pourtant, lorsqu'il s'est retrouvé lui-même en chimiothérapie, il a réalisé que son approche n'était pas optimale. Il enjoint à ses confrères de faire mieux. Un appel qui mérite d'être entendu non seulement des médecins, mais de la science et du système de santé.

Fatigue débilitante, pieds engourdis, perte d'appétit, arrière-goût métallique... Frappé par ces calamités qui persistent bien après les traitements, le directeur la division de chirurgie colorectale à l'Hôpital général juif et de l'Université McGill a réalisé qu'il aurait pu mieux s'y prendre avec ses propres patients. « Peut-être passer un peu plus de temps avec eux, m'assurer de me familiariser avec les effets secondaires pour pouvoir leur donner plus d'information et les laisser décider s'ils veulent aller de l'avant avec le protocole », résume-t-il en entrevue téléphonique.

Les épreuves relatées par le Dr Gordon, qui en est à son troisième type de traitement pour contrôler son cancer du pancréas, ne surprendraient sans doute pas un patient qui est passé par là. Mais si un spécialiste qui utilise la chimiothérapie dans sa pratique a un tel choc lorsqu'il se retrouve à l'autre bout du cathéter, c'est qu'un fossé important subsiste entre l'expérience du médecin et celle du patient.

Il est donc heureux que son témoignage ait été publié dans une revue médicale (Diseases of the Colon & Rectum), où il a plus de chances de rejoindre ses pairs.

Lorsqu'on parle du combat contre le cancer, on a tendance à oublier que c'est le corps du patient qui en est le champ de bataille. Il est essentiel que la médecine, au sens le plus large, soit consciente des impacts que les traitements ont sur la vie des patients, et se préoccupe de les atténuer.

Heureusement, la science évolue.

Témoin la leucémie myéloïde chronique, où la greffe de moelle osseuse, avec son taux de mortalité et son potentiel de complications sérieuses, a cédé le pas à un médicament pris à domicile. Et aussi ce traitement expérimental développé à l'Hôpital Maisonneuve-Rosemont, qui permet de faire des greffes de cellules souches sans donner d'agent antirejet. « Les patients sont beaucoup moins malades, ont moins de complications, s'en remettent plus vite et le greffon prend plus rapidement », indique le Dr Denis Claude Roy qui dirige le Centre d'excellence en thérapie cellulaire. Il cite également d'autres traitements expérimentaux où l'on administre au patient des cellules produites en laboratoire qui vont combattre ses cellules cancéreuses. On est dans la médecine personnalisée.

Peut-on compter sur la médecine personnalisée pour éviter aux malades de subir des traitements infructueux, et leur administrer seulement la chimiothérapie qui fonctionne pour eux ?

« J'aimerais avoir un test qui dit :  "Ce médicament ne donnera pas d'effet secondaire au patient, mais c'est le plus efficace contre la tumeur." Mais c'est encore pas mal de la science-fiction », indique le Dr Lambert Busque, également du Centre de recherche HMR.

Une amélioration toutefois :  on s'intéresse aux biomarqueurs pour identifier les effets secondaires prévisibles et prédire chez quels patients le traitement sera efficace dès les premières études cliniques, dit-il.

Encore faut-il que les outils disponibles soient utilisés. On l'a vu au Québec où il a fallu qu'un décès tragique soit médiatisé pour que le test génétique permettant de détecter les patients pour qui les traitements de chimio 5-FU et Xeloda sont dangereux soit enfin considéré.

Améliorer le traitement du cancer implique de s'intéresser au patient qui le reçoit, et non pas seulement à la maladie.

Les deux enquêtes que l'Institut de la statistique du Québec (ISQ) a menées auprès de milliers de Québécois traités pour un cancer dans les années 2000 ont montré que plusieurs aspects restaient à améliorer, et que certains s'étaient même détériorés. Malheureusement, l'ISQ ne prévoit pas en réaliser d'autres. C'est malheureux. Il serait temps que quelqu'un reprenne ce flambeau.

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