Le gouvernement Couillard, on l'a vu, a de grandes ambitions pour l'industrie agroalimentaire. Mais si Québec veut vraiment aider le secteur, il doit donner l'exemple et privilégier les produits locaux dans les achats des établissements publics.

Augmenter les exportations, c'est bien. Inciter la population à acheter local aussi. Un autre client, toutefois, pourrait en faire davantage : le secteur public et parapublic. Les écoles, les hôpitaux, les prisons, les CHSLD et les CPE utilisent des centaines de millions de dollars d'aliments chaque année. Si l'on veut que les agriculteurs et les transformateurs d'ici augmentent leurs ventes et leur contribution à l'économie, c'est un pouvoir d'achat considérable qui doit faire partie de l'équation.

L'idée n'a rien de révolutionnaire. Elle ressort chaque fois qu'il est question de miser sur le potentiel du bioalimentaire québécois. En 2013, la Politique de souveraineté alimentaire du Parti québécois suggérait d'inciter les établissements publics à en tenir compte dans leurs appels d'offres. L'administration Marois ayant été de courte durée, l'élan s'est perdu, mais heureusement, le gouvernement actuel semble disposé à le relancer. On ne saurait trop l'encourager.

«Est-ce qu'on peut faire émerger une meilleure stratégie sur les achats institutionnels? De toute évidence, oui, parce que je pense qu'on n'a pas atteint notre plein potentiel là-dedans», a affirmé Laurent Lessard, ministre de l'Agriculture.

Le premier ministre Philippe Couillard et lui parlent avec enthousiasme d'une récente émission de L'épicerie au Danemark, où 90% de la nourriture servie dans les hôpitaux, écoles et garderies est biologique. Le reportage ne mentionne pas de normes d'approvisionnement local, mais le parti pris affiché pour les aliments frais et saisonniers privilégie de facto les produits locaux. Si un pays de près de 6 millions d'habitants a réussi une telle conversion en moins de 10 ans, le Québec est certainement capable de prendre un virage plus modeste, visant simplement à augmenter son approvisionnement local.

Évidemment, le gouvernement doit s'assurer de ne pas contrevenir aux accords de libre-échange, y compris celui sur le commerce interprovincial entré en vigueur l'été dernier. Cependant, tout indique qu'il y a de la marge de manoeuvre.

Les organisations peuvent, par exemple, se doter d'une marge préférentielle allant jusqu'à 10 % pour favoriser des critères de développement durable, dont la distance à parcourir par les producteurs et les distributeurs pour livrer la marchandise. Les établissements peuvent aussi modifier leurs menus pour utiliser une plus grande part d'ingrédients locaux, notamment les fruits et les légumes de saison.

Les projets réalisés avec divers établissements par l'organisme Équiterre ont démontré qu'il est tout à fait possible d'acheter davantage localement. Toutefois, ces expériences ont aussi fait ressortir l'ampleur de l'exercice. Pour pouvoir parler de progrès, il faut savoir d'où l'on part. Or, évaluer la provenance de tous les achats alimentaires dans une année peut s'avérer laborieux, d'autant que les distributeurs n'inscrivent pas systématiquement l'origine des fruits et légumes sur leur liste de commande, a notamment constaté Équiterre. Et même si une marge préférentielle permet de considérer des produits locaux un peu plus chers, encore faut-il en avoir les moyens.

Bref, si l'on veut que les établissements qui achètent des denrées avec des fonds publics influencent le cours des choses dans l'ensemble de la province, il va falloir des directives claires en faveur de l'achat de proximité - ce qui, dans certains cas, forcera l'État à remettre en question ses propres orientations. Les regroupements d'achats, par exemple, permettent d'obtenir de meilleurs prix, mais font parfois perdre des contrats aux petits fournisseurs locaux, parce que leurs coûts de production sont plus élevés ou qu'ils n'ont pas la capacité de desservir un territoire élargi. Ça s'est vu au cours des dernières années avec des regroupements de prisons et d'hôpitaux. Le gouvernement Couillard se montre sensible au problème, mais on ne sait pas encore ce qu'il fera pour éviter que cela se reproduise.

Réduction des émissions de gaz à effet de serre liées au transport, accès à des aliments plus frais, maintien et développement d'emplois en région : les aliments locaux ne répondent pas toujours au critère implacable du prix le plus bas, mais ils offrent d'autres avantages, y compris économiques, qui méritent d'être pris en considération.

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