En se fiant aux chiffres officiels, on pourrait avoir l'impression que l'agression sexuelle est un problème bien peu répandu. On sait, évidemment, que les statistiques policières et judiciaires sous-estiment la réalité, mais à quel point ? De manière spectaculaire, montrent les chiffres publiés de Statistique Canada. Une autre preuve, s'il en faut, de l'utilité du mouvement d'affirmation #MoiAussi.

Déjà, les plaintes enregistrées par la police ne sont que la pointe de l'iceberg puisqu'on estime que seulement 5 % de ces agressions sont signalées à la police.

Un taux de sous-déclaration très élevé, même si l'on tient compte du fait que tous les crimes ne sont pas rapportés. Les sept autres types de crimes mesurés par l'Enquête sociale générale (ESG) sur la sécurité des Canadiens (voies de fait, vols qualifiés, introductions par effraction, etc.) sont déclarés sept fois plus souvent (34 % des cas).

Cette pointe d'iceberg fond spectaculairement au contact du système de justice. À peine 21 % des plaintes enregistrées par les services policiers entre 2009 et 2014 se sont réglées devant les tribunaux, indique Statistique Canada dans un rapport publié jeudi dernier. 

Ce pourcentage, c'est presque moitié moins que les voies de fait (39 %), et ça n'inclut même pas les plaintes classées comme non fondées. « Le taux d'attrition, défini en termes généraux comme étant la proportion d'affaires criminelles abandonnées aux diverses étapes du système de justice pénale, demeure plus élevé pour les agressions sexuelles que pour les voies de fait à toutes les étapes du système de justice, sauf pour les peines d'emprisonnement », souligne l'agence fédérale. Est-ce parce que seuls les dossiers les plus blindés se rendent au bout du processus ? Parmi les affaires qui débouchent sur une déclaration de culpabilité, plus de la moitié des causes d'agression sexuelle (56 %) entraînent une peine d'emprisonnement, contre à peine le tiers (36 %) des affaires de voies de fait.

« Plusieurs autres motifs expliquent pourquoi une affaire criminelle n'est pas portée devant les tribunaux, et il ne s'agit pas nécessairement d'une décision négative ou d'un échec du système de justice », note Statistique Canada. De fait, qu'il s'agisse d'une insuffisance de preuve ou du choix de la personne qui a porté plainte, il existe de nombreuses raisons valables d'interrompre les procédures. Mais l'ampleur de cette érosion, alors que si peu de cas sont déclarés, ne doit pas nous laisser indifférents. D'autant que beaucoup de celles et ceux qui trouvent le courage d'aller à la police ne franchissent même pas la première étape. Une plainte pour agression sexuelle sur cinq est classée comme non fondée, alors que plusieurs de celles-ci ne devraient pas être écartées, a révélé le Globe and Mail au terme d'une enquête exhaustive en février dernier.

L'objectif n'est évidemment pas que tous les cas se rendent jusqu'au tribunal. Il faut néanmoins être conscient que cette sous-représentation n'aide en rien à améliorer les choses.

Les personnes qui font l'objet d'agression ou de harcèlement sexuel ont tendance à considérer que porter plainte comporte plus de risques que d'avantages  - et jusqu'à tout récemment, il était difficile de leur donner tort.

Le torrent de déclarations flanquées du mot-clic #MoiAussi ou #MeToo sur les réseaux sociaux a amené les sorties publiques, les plaintes à la police et les chutes de piédestal que l'on sait, mais surtout, il a modifié le contexte. 

La honte, tout d'un coup, a changé de camp. Elle ne menace plus tant les cibles des agressions que leurs auteurs. Il était temps ! 

Ce rééquilibrage est toutefois fragile. Le mouvement #AgressionNonDénoncée n'a pas eu d'effet durable après 2014. La situation sera-t-elle différente cette fois ?

Pour l'instant, plusieurs répondent présent. Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a ouvert une ligne téléphonique directe pour faciliter les plaintes. Statistique Canada va recommencer à publier des données sur les agressions classées comme non fondées, ce qui permettra aux corps policiers de se comparer, et on l'espère, d'améliorer leurs pratiques. Et la ministre québécoise de la Condition féminine a promis un million de dollars pour aider les organismes de soutien à répondre à la demande - mais comme l'a fait valoir le Regroupement québécois des centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel, c'est une hausse récurrente qui serait nécessaire pour y parvenir.

La dynamique est-elle vraiment en train de changer ? Chose certaine, elle est différente en ce moment, et c'est cet élan qu'il ne faut pas perdre.

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