Deux, trois ou quatre accidents récents pour justifier la modification d'un feu de circulation?

C'est l'un des critères qui revient souvent dans le guide utilisé par la ville-centre pour répondre aux demandes de feux de circulation des citoyens. Un exemple spectaculaire, mais révélateur d'un malaise plus profond : la difficulté de faire valoir les enjeux de sécurité locaux face à une administration centralisée.

«Il est absolument inconcevable que les arrondissements de Montréal doivent comptabiliser les blessés graves et les morts qui surviennent aux intersections avant d'obtenir les changements de signalisation qu'ils réclament», a dénoncé la candidate à la mairie de Projet Montréal, Valérie Plante, lundi matin.

«Les critères qui justifient l'installation de feux de circulation ou de feux pour piétons sont multiples et ne se confinent pas à un nombre minimum d'accidents», nous a répondu la Ville en citant notamment la largeur de traverses, la proximité d'un établissement public, la présence de brigadiers scolaires, à signaux sonores ou d'une phase de virage gauche protégé.

C'est vrai, les accidents ne sont jamais le seul élément considéré dans le document interne que nous avons consulté. Pour l'ajout de feux à décompte numérique pour piétons, par exemple, six autres critères peuvent servir de justificatif.

Pour certains types de feux, toutefois, les accidents pèsent lourd dans la balance. Dans le cas d'une demande d'intervalle protégé pour les cyclistes, c'est l'un deux principaux critères évalués, avec le nombre de conflits avec les véhicules. C'est aussi l'un des deux éléments pris en considération pour l'ajout d'un feu visant à permettre aux cyclistes de traverser une rue principale.

Dans le premier cas, de deux à quatre accidents impliquant un cycliste et un véhicule tournant doivent avoir été recensés en trois ans. Dans le second, il faut au moins trois cyclistes heurtés en trois ans... à condition qu'une étude de sécurité confirme que le feu réclamé permettrait de réduire ce type d'accident.

Montréal compte près de 2300 intersections munies de feux et depuis 2015, tous sont contrôlés par la ville-centre. Le guide a été conçu comme un moyen d'uniformiser l'ensemble des demandes, plaide la Ville.

On peut comprendre la nécessité d'une certaine cohérence, pour éviter qu'en réglant un problème à une intersection, on en crée d'autres ailleurs. La lourdeur de la procédure, par contre, ne contribue en rien à la sécurité.

La Ville a beau s'engager à traiter les demandes en six mois, encore faut-il que les arrondissements fournissent des dossiers répondant à toutes ses exigences. Et il y en a. Même si un feu piéton peut être installé lorsqu'un seul des critères est satisfait, les six autres doivent être analysés, indique le guide. Des études de circulation sont également requises, ce qui implique des frais considérables. Les appels d'offres pour ces études, et la nécessité d'effectuer certains comptages en haute saison des cyclistes, rajoutent des délais.

Pendant ce temps, des situations inquiétantes perdurent, comme l'intersection Rachel-Molson.

La centralisation renforce aussi l'impression de ne pas être entendu dans les quartiers. On l'a vu avec l'intersection Rosemont-Saint-Michel, où le scénario recommandé par la Ville a été vivement critiqué par deux écoles primaires du coin, qui ne voulaient pas des déplacements de circulation, même mineurs, anticipés dans les rues avoisinantes. Le scénario privilégié par l'arrondissement, lui, a été rejeté par la Ville parce qu'il aurait, selon les analyses, entraîné des retards tels «qu'ils auraient pour effet d'inciter les conducteurs à adopter des comportements dérogatoires», et «à faire preuve de moins de courtoisie [...] envers les piétons».

Montréal a finalement implanté des mesures pour améliorer la sécurité de cette intersection, mais sa gestion technocratique des feux n'en est pas moins inquiétante. Pendant que les arrondissements s'évertuent à rassembler toutes les pièces exigées au dossier, des situations dangereuses se prolongent, avec le risque de voir des accidents s'ajouter à la colonne des arguments.

Le maire sortant Denis Coderre, qui a réitéré sa politique de sécurité routière «Vision zéro» dans sa plateforme électorale, va devoir s'occuper de cette absurdité s'il est réélu.

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