Le crédit et les programmes de fidélisation sont devenus quasi-incontournables. Malheureusement, le consommateur ne fait souvent pas le poids face aux clauses complexes imposées par les entreprises. Le projet de loi déposé à Québec la semaine dernière vise à rétablir un peu l'équilibre.
Voici pourquoi il est important.
Vous l'avez tous constaté en magasinant un prêt hypothécaire, une carte de crédit, une voiture ou des meubles : le crédit que les banques, les commerçants et autres prêteurs sont disposés à vous accorder est vertigineux. Aux yeux du consommateur pris à la gorge, une source de crédit supplémentaire peut ressembler à une bouffée d'oxygène, mais en l'incitant à s'endetter davantage, on risque plutôt de lui accrocher un boulet qui le fera couler vers le fond.
Le projet de loi oblige les prêteurs à faire une évaluation précise de la capacité de rembourser du client avant de conclure un nouveau contrat de crédit avec lui, ou d'augmenter la limite d'un contrat existant. Et s'il s'agit de crédit à coût élevé (un taux de plus de 35 %, par exemple), il doit lui remettre un exemplaire de cette évaluation, ainsi que des informations sur son ratio d'endettement. Les prêteurs ayant manqué à ces obligations seront privés des frais de crédit prévus au contrat, incluant ceux qu'ils ont déjà perçus.
Bonne nouvelle pour tous les consommateurs qui en ont marre de voir leurs limites de crédit augmentées à leur insu : cela pourra se faire seulement s'ils en font la demande explicite. Bravo aussi pour la hausse du paiement minimal à 5 %, qui restreindra un peu l'enflure démesurée du solde.
Même quand un consommateur est complètement à sec, des entreprises peu scrupuleuses trouvent encore moyen de leur presser le citron. Les gens surendettés ne sont pas toujours les mieux informés et les entreprises qui annoncent des services de règlement ou de gestion de dettes en profitent.
D'une part, elles annoncent des conseils de gestion de dette et de budget, alors que les Associations coopératives d'économie familiale (ACEF) en offrent gratuitement. D'autre part, leurs services de négociation et de versements avec les créanciers ne donnent pas du tout les mêmes résultats qu'une proposition de consommateur avec syndic. Des clients endettés jusqu'au cou ont versé des sommes importantes qui n'ont jamais été remises à leurs créanciers, d'autres ont payé des milliers de dollars pour être référés à un syndic auquel ils auraient pu s'adresser directement.
Pour élaguer cette jungle, le projet de loi obligera les services de règlement de dettes à détenir un permis assorti d'obligations strictes, notamment sur l'usage des sommes perçues, qui devront être déposées dans un compte en fidéicommis, et sur la teneur des contrats, qui pourront être résiliés dans certaines conditions.
Pour les consommateurs qui accumulent des points dans un programme de fidélisation comme Air Miles, Aéroplan ou Optimum, ces crédits valent pas mal plus que des pinottes. Ce sont des devises fortes, échangeables contre des rabais ou des récompenses convoitées - autrement dit, presque de l'argent sonnant. On ne peut donc pas laisser les émetteurs les dévaluer ou ramener leur valeur à zéro comme bon leur chante. Or, il a fallu des mois de protestations avant de faire reculer les exploitants d'Air Miles et d'Aéroplan, et le recours collectif contre Optimum est toujours en attente. Le projet de loi, qui interdit d'inscrire une date de péremption dans le contrat, fait un premier pas pour prévenir les abus.
Toutefois, plusieurs éléments manquent encore pour que le portrait soit complet. Les programmes de fidélisation, par exemple, auraient le droit de modifier leurs ententes après coup, à condition d'aviser les consommateurs par écrit. C'est inacceptable. Ces points doivent être traités comme les cartes cadeaux et autres cartes prépayées, qui conservent leur valeur indéfiniment.
Des organisations comme Option consommateurs et l'Union des consommateurs déplorent par exemple l'absence d'une interdiction maintes fois réclamée : la sollicitation pour des cartes de crédit dans les cégeps, universités et autres établissements d'enseignement. Avec raison : pour les jeunes qui ont des capacités de remboursement limitées et ne sont pas toujours conscients des conséquences de ce mode de paiement, ce genre d'engagement ne devrait pas être signé sous pression sur un coin de table.
Par ailleurs, l'obligation de remettre au client une copie de l'évaluation de sa capacité de rembourser devrait toucher tous les prêteurs, et non pas seulement ceux qui vendent du crédit à taux élevé. D'une part, ça aiderait à conscientiser les consommateurs à leur niveau d'endettement. D'autre part, il n'est pas normal qu'une personne à qui l'on demande des renseignements personnels pour une analyse n'ait pas accès à celle-ci.
Le diable est dans les détails, disent les anglophones. C'est particulièrement vrai des projets de loi, dont la portée réelle dépend des règlements adoptés ensuite. Dans le cas présent, des détails essentiels restent à régler, comme le ratio à partir duquel l'endettement d'un consommateur sera jugé excessif, et le taux d'intérêt au-delà duquel un prêt sera considéré à coût élevé.
Ce projet déposé par la ministre de la Justice la semaine dernière s'ajoute à son menu législatif déjà extrêmement chargé. Espérons que Stéphanie Vallée lui donnera toute l'attention qu'il mérite, et s'assurera qu'il entre en vigueur avant les élections de l'automne 2018. Autrement, cette loi sur l'endettement mourra au feuilleton, comme celle qui l'a précédée en 2011, laissant le champ libre à tous les profiteurs.
Ce serait malheureux, et pas seulement pour leurs victimes. Les dépenses de consommation génèrent presque 60 % du produit intérieur brut (PIB) du Québec. Les entreprises qui endettent les consommateurs à outrance vampirisent le pouvoir d'achat de ceux-ci, à leur profit et au détriment du reste de l'économie. Cet abus-là non plus ne devrait pas être toléré.
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