Être condamné à verser 26 000 $ de dommages moraux à cause d'un projet payé un demi-million de dollars à une boîte de consultants : pour l'utilisation optimale des fonds publics, on repassera ! Espérons que le jugement dont vient d'écoper un centre de santé du nord de Montréal serve de leçon à tout le réseau.

La « démarche d'optimisation » du Centre de santé et de services sociaux d'Ahuntsic et Montréal-Nord a infligé de la souffrance psychologique à 52 travailleurs, vient de reconnaître la Cour supérieure. Les dommages moraux ordonnés par l'arbitre l'an dernier sont également confirmés. L'employeur devra donc verser 500 $ par personne, sans oublier les intérêts et tout ce qu'il lui en a coûté pour se défendre.

Peut-on imaginer pire résultat pour une opération censée réaliser des gains d'efficacité ?

Le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) du Nord-de-l'Île de Montréal, qui a hérité de cette patate chaude à la suite des fusions, a heureusement décidé d'arrêter les frais. On n'ira pas en appel et les indemnités seront versées, nous a indiqué le CIUSSS.

L'Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS), à l'origine des griefs, a évidemment crié victoire. Mais la portée de cette histoire va bien au-delà du simple affrontement patronal-syndical.

Il y a des remèdes pires que le mal, et la façon dont la méthode de la firme Proaction a été appliquée à des ergothérapeutes, physiothérapeutes, travailleurs sociaux et autres employés du soutien à domicile d'Ahuntsic et Montréal-Nord en 2012 en est un exemple flagrant.

Sous prétexte d'améliorer la productivité, les gestionnaires ont raccourci le temps alloué aux interventions et interdit aux employés de discuter des cas entre eux, tout en alourdissant leur tâche de rencontres supplémentaires et de grilles extrêmement complexes à remplir. Résultat : « de l'anxiété, du stress, de l'irritabilité et dans plusieurs cas, des troubles du sommeil ou des troubles gastriques, des crises (pleurs) et autres inconvénients psychologiques », a reconnu l'arbitre. Une dizaine de médecins du centre, qui n'étaient pourtant pas soumis à ce minutage, ont écrit à la directrice générale pour dénoncer les risques qu'on faisait courir aux personnes âgées en rognant à ce point le temps qui leur était consacré.

Il faut dire que les gestionnaires étaient eux-mêmes soumis à une pression énorme. Leur CSSS, comme les autres du réseau, devait augmenter son volume d'interventions de 10 % sous peine de voir son budget amputé. L'offre d'une firme comme Proaction, qui promettait de rembourser une partie de ses honoraires si les résultats n'étaient pas à la hauteur, devenait alors drôlement tentante.

Un audit réalisé par le Ministère en 2013 avait d'ailleurs trouvé, à Montréal, au moins cinq contrats de plus de 100 000 $ donnés de gré à gré alors qu'ils auraient dû faire l'objet d'un appel d'offres. Trois de ceux-ci, accordés par d'autres CSSS et totalisant 1,4 million, avaient aussi été dénoncés par le vérificateur général.

Le CIUSSS du Nord-de-l'Île de Montréal, tout comme le Ministère, disent aujourd'hui privilégier les solutions qui émergent des équipes sur le terrain.

On ne fait pas affaire avec Proaction, nous a indiqué le CIUSSS. Cet héritage de l'ancienne administration reviendra néanmoins le hanter à l'automne, alors qu'un grief similaire, cette fois contre l'ex-CSSS Bordeaux-Cartierville-Saint-Laurent, ira en arbitrage.

Il faudra voir si ce contrat qui, là encore, avait coûté 499 500 $, se soldera lui aussi par un extra pour dommages moraux.

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