Les frais accessoires avec lesquels les médecins et les cliniques vont chercher des dizaines de millions de dollars par année dans les poches des patients risquent maintenant de coûter très cher à l'ensemble de la population. Si Québec ne met pas vraiment fin à cette pratique, les transferts fédéraux pourraient être réduits d'autant, prévient la ministre fédérale de la Santé Jane Philpott dans une lettre que La Presse a obtenue. Une raison de plus, s'il en fallait, pour en finir avec ces frais injustes.

« Des frais supplémentaires pour recevoir des soins couverts par la carte d'assurance maladie ? Ah non, pas chez nous. » C'est, en substance, la réponse que Québec donne à Ottawa chaque année dans le rapport qu'il doit fournir en vertu de la Loi canadienne sur la santé. Ça ne passera pas cette année.

Le rapport du Vérificateur général du Québec publié en mai dernier « confirme l'existence d'activités de surfacturation et de frais d'utilisation dans les cliniques », écrit la ministre Philpott à son homologue québécois Gaétan Barrette. « En ce qui concerne les états financiers du Québec pour 2014-2015, qui seront présentés en décembre 2016, je m'attends à ce que votre ministère tienne compte des estimations fournies par le Vérificateur. »

La lettre est datée du 6 septembre, soit huit jours avant que le ministre Barrette n'annonce l'interdiction formelle des frais accessoires pour les soins de santé couverts par le régime public. Mais selon lui, l'intervention du fédéral n'a rien à voir là-dedans. Le règlement annoncé la semaine dernière est le résultat de la promesse d'abolir les frais accessoires qu'il avait faite en mai ; la lettre de Mme Philpott est arrivée à la fin du processus, dit-il.

N'empêche, l'avertissement d'Ottawa enfonce le clou. L'interdiction des frais accessoires est bienvenue, mais dans quelle mesure Québec la fera-t-il respecter ? Jusqu'ici, il était difficile d'en juger : le texte du règlement sera publié seulement le 28 septembre, et son entrée en vigueur pourrait aller à la mi-janvier. Malgré les nouveaux pouvoirs que le ministre a donnés à la Régie de l'assurance maladie et les ressources dont il entend la doter, on peut se demander si celle-ci ramènera les médecins fautifs à l'ordre, alors qu'elle a toujours été si réticente à le faire.

Québec n'a désormais plus le choix de faire appliquer son nouveau règlement, car s'il continue à tolérer les frais accessoires indus, il verra ses transferts fédéraux amputés d'autant. La somme en jeu peut paraître marginale dans l'énorme budget de la santé, mais sa valeur symbolique est considérable.

Si toutes les provinces veulent que le fédéral leur accorde plus d'argent pour les soins de santé, le Québec est l'une de celles qui se sont fait le plus entendre. De quoi aura-t-elle l'air si elle voit sa part réduite par sa propre faute ?

Le ministre Barrette considère plutôt cette menace comme une manoeuvre politique pour détourner l'attention. La lenteur du gouvernement Trudeau à verser les sommes promises pour les soins à domicile et son intention de réduire la hausse des transferts de moitié à partir de l'an prochain sont les véritables enjeux, fait-il valoir.

Sauf que si la surfacturation arrive aujourd'hui comme un cheveu sur la soupe, c'est que les gouvernements successifs l'ont trop longtemps tolérée. Et pour cause : elle arrange bien du monde. Les médecins, qui peuvent ainsi traiter leurs patients. Les élus, qui voient les listes d'attente diminuer à moindre coût. Les actionnaires des cliniques qui en font leur affaire. Même le fédéral a fermé les yeux. On se demande d'ailleurs si Mme Philpott serait intervenue sans la poursuite de l'avocat montréalais Jean-Pierre Ménard, qui demande à Ottawa de faire appliquer sa loi.

L'objectif est d'éliminer toute facturation supplémentaire, et non de réduire les paiements de transfert, souligne la ministre dans sa lettre. Il n'est donc pas question d'un couperet, du moins pas encore, mais d'une épée de Damoclès. Est-ce que ça suffira pour venir à bout de cette pratique inéquitable, qui force les patients à payer un supplément lorsque les soins dont ils ont besoin sont offerts en clinique plutôt qu'à l'hôpital ? On ose l'espérer.

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