Légaliser la marijuana ne se fera pas en claquant des doigts, confirme une note interne de Sécurité publique Canada. Des transactions entre mineurs aux différences provinciales, le gouvernement Trudeau devra tenir compte de multiples facteurs avant de réaliser sa promesse électorale.

Les arrestations et les poursuites liées à la possession de petites quantités de marijuana coûtent cher, encombrent le système de justice et amènent trop de Canadiens à se retrouver avec un casier judiciaire, avait fait valoir le Parti libéral en campagne.

Toutefois, la légalisation ne permettra pas nécessairement de réaliser des économies. Elle entraînera plutôt un déplacement de ressources, suggère le document obtenu par l'accès à l'information. La légalisation nécessitera qu'on « applique rigoureusement la loi, s'occupe des liens avec le crime organisé, combatte et élimine le marché noir, contrôle la distribution, et soit prêt à enquêter et à porter des accusations contre les activités illégales en vertu du nouveau régime », souligne le document préparé en novembre dernier.

Plusieurs passages ont malheureusement été caviardés, dont les recommandations et les étapes à suivre, qui auraient pu contribuer à la réflexion collective. C'est d'autant plus dommage que tous ne sont pas rendus au même point, en particulier dans les provinces et territoires.

La Colombie-Britannique et l'Ontario ont signalé leur ouverture à en discuter avec Ottawa, l'Alberta a dit que ce n'était pas une priorité et le Québec s'inquiète que ça se fasse trop vite, note le document. Ces gouvernements ayant le pouvoir de réglementer plusieurs aspects, dont les lieux où la vente et la consommation seront autorisées, Sécurité publique Canada plaide en faveur d'une étroite collaboration fédérale-provinciale. Bravo, mais l'ouverture d'Ottawa ne suffira pas. 

Pour devenir des interlocutrices valables, les provinces vont devoir s'intéresser sérieusement à la légalisation, et se faire leur propre idée.

En plus des habituels enjeux relatifs à la conduite avec facultés affaiblies et aux revenus du crime organisé, le document fédéral s'interroge - à juste titre - sur la protection que la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents procure aux 12-18 ans.

La plateforme libérale a vanté la légalisation comme un moyen d'« empêcher la marijuana de tomber entre les mains des enfants » et promis d'élaborer « de nouvelles lois plus strictes [qui] puniront sévèrement quiconque fournit cette drogue à un mineur. » L'expérience du tabac et de l'alcool tempèrent notre enthousiasme. Certes, les pénalités prévues dissuadent la plupart des commerçants autorisés de vendre à des mineurs. Sauf qu'elles n'empêchent pas ceux-ci de s'approvisionner ailleurs. Tant mieux si, dans la foulée de la légalisation, on durcit les peines prévues pour les petits revendeurs qui fourguent leur marijuana à des jeunes. Mais si l'on veut vraiment réduire la consommation des ados, il va falloir se demander ce qu'on fait avec les mineurs qui vendent à d'autres mineurs.

De toute façon, même si les libéraux n'avaient pas fait du cannabis un enjeu électoral, ils auraient été forcés de s'en occuper, car l'encadrement de la marijuana médicale bricolé par l'administration Harper se fait démolir pièce par pièce devant les tribunaux. Le plus récent morceau est tombé il y a deux semaines, alors que la cour fédérale a invalidé le Règlement sur la marijuana à des fins médicales interdisant aux patients de faire pousser leurs propres plants. Le juge a suspendu la décision durant six mois pour donner le temps au fédéral de s'organiser, mais une simple rustine réglementaire ne règlera pas le problème, beaucoup plus vaste, des cultures illicites sous couvert d'autorisation médicale. On en revient toujours au même point : il faut couper l'herbe sous le pied des organisations criminelles.

- Avec William Leclerc

Infographie La Presse

Source : Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes — Santé mentale, Statistique Canada, 2012.

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