« Appropriation culturelle ! » Des coiffures aux chapeaux en passant par la danse et la cuisine, de plus en plus de modes d'expression se voient coller cette étiquette accusatrice. C'est insensé. Invoquer l'appropriation culturelle au moindre prétexte dévalue les revendications de ceux qui ont de véritables motifs de crier au voleur.

On peut comprendre la colère ressentie par Salome Awa, du Nunavut, devant la collection automnale de la marque KTZ. L'entreprise britannique a présenté comme une création un chandail presque identique à un vêtement sacré fabriqué par son arrière-grand-père chaman, a-t-elle raconté au réseau CBC, photo à l'appui. Les motifs originaux avaient été conçus en réponse à une vision. La quasi-copie s'est vendue autour de 900 $.

Par contre, on se demande quelle mouche a piqué des étudiants du Oberlin College, en Ohio. Qu'ils reprochent à leur cafétéria de vendre du poulet du général Tao, des sandwiches vietnamiens banh mi et des sushis nuls, d'accord. Mais de là à accuser l'entreprise d'appropriation culturelle... L'histoire publiée dans le journal étudiant est devenue virale. Plusieurs ont souligné l'ironie de crier à l'appropriation culturelle à propos d'un classique de la cuisine sino-américaine (général Tao), ou d'un sandwich vietnamien préparé avec un autre pain que la baguette de l'ex-colonisateur français.

Dommage, parce que l'expression peut servir à dénoncer de vraies imbécillités.

On pense aux Navajos, qui ont retrouvé leur nom accolé à une « petite culotte hipster » au motif vaguement ethnique. Ou aux coiffes autochtones arborées comme accessoire mode. La Nation Navajo a traîné Urban Outfitters en justice en citant ses marques déposées. Et même sans assise légale, il peut être légitime de protester contre le détournement de symboles forts à des fins purement mercantiles.

Mais quand on voit un étudiant d'origine mexicaine racheter les sombreros usagés vendus par le costumier de son université pour éviter qu'ils ne servent de déguisements d'Halloween, on se demande si la vie en société n'est pas devenue un champ de mines. Une vedette « blanche » qui adopte une pratique popularisée par les Afro-Américains, comme les tresses rastas ou le twerk ? Appropriation culturelle ! Au point où certains s'en défendent par avance, comme la mannequin Gigi Hadid, qui a récemment souligné ses origines palestiniennes pour justifier ses mains décorées au henné.

Que des minorités visibles soient irritées de voir des stars tirer profit des signes ou des comportements pour lesquels elles ont été elles-mêmes ostracisées est compréhensible. Sauf que prêter des intentions diaboliques à tout un chacun n'avance à rien. N'importe qui peut se mettre les pieds dans les plats. Le rapper Pharell Williams a arboré une coiffe autochtone en couverture du Elle UK. Et le leader apache Terry Rambler, qui réclame la disparition du terme « redskin » dans le nom de l'équipe de football de Washington, s'est déguisé en Bob Marley, visage noirci inclus, à l'Halloween. Tous deux s'en sont copieusement excusés.

Chacun doit élargir ses sensibilités, et accepter que certaines pratiques deviennent hors limite. Mais qui veut vivre dans un monde où tout emprunt peut être taxé d'appropriation culturelle - c'est-à-dire de vol ? C'est l'asphyxie garantie.

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