On se plaint des imbéciles, mais ils ont parfois un rôle catalyseur. En commentant l'apparence d'une jeune informaticienne affichée dans le métro de San Francisco, une poignée d'inconnus ont servi de bougie d'allumage à une formidable campagne en faveur du génie au féminin. Espérons que celle-ci aura un effet d'entraînement concret.

Trop sexy pour être crédible. C'est, en substance, le genre de commentaires qu'Isis Anchalee Wenger a récolté sur les réseaux sociaux en prêtant son visage à la campagne de recrutement de son employeur, une boîte spécialisée dans la gestion des identités en ligne. Sa réponse, résumée en un mot-clic (#ILookLikeAnEngineer), est devenue virale.

De quoi devrait avoir l'air une femme ingénieure ? À cette question ridicule, des centaines de personnes ont fourni la seule réponse intelligente possible : de ce qu'elle veut.

Reprenant la formule de Mme Wenger à leur compte, d'innombrables ingénieures ont affiché une photo d'elles-mêmes en mentionnant leur spécialité. Des entreprises, des institutions d'enseignement, de grosses pointures comme la PDG de GM, Mary Barra, et plusieurs hommes ont aussi participé au mouvement.

Il est devenu de bon ton de se méfier de l'effet grossissant des médias sociaux, en particulier sur Twitter, dont la popularité est beaucoup moins grande que celle de Facebook. Mais quand un mot-clic déclenche un tel feu de brousse, c'est qu'il se passe quelque chose.

Les femmes sont encore en minorité dans la profession, c'est vrai. Au Québec, par exemple, à peine plus de 13 % des membres de l'Ordre des ingénieurs sont des femmes. C'est peu, mais c'est quand même le double d'il y a 20 ans. Et ça continuera d'aller en augmentant puisque les programmes de génie comptent aujourd'hui 18 % d'étudiantes au premier cycle.

Cela peut paraître minime comparativement à d'autres branches comme la médecine, où les femmes représentent plus de la moitié des inscriptions. Le plus urgent, toutefois, n'est pas d'atteindre une parité symbolique. C'est de s'assurer que des femmes qui pourraient s'accomplir dans une des nombreuses disciplines du génie n'en soient pas dissuadées par une image déformante de la profession. À cet égard, les témoignages passionnés suscités par le cri de ralliement #ILookLikeAnEngineer sont plus vendeurs que n'importe quelle campagne publicitaire.

Cependant, il en faut davantage pour infléchir une trajectoire. Cela demande un travail de longue haleine, comme celui qu'a fait Polytechnique en multipliant les occasions d'entrer en contact avec le domaine - journées « Les filles et les sciences », Club 100 % filles, bourses aux jeunes de milieux défavorisés, etc.

La diversité n'est pas une vertu abstraite. C'est ce qui rend les milieux de travail attrayants et les fait évoluer. Mme Wenger, qui se décrit comme une autodidacte en génie logiciel, ne pourrait même pas porter le titre d'ingénieur ici. Et pourtant, c'est la porte-parole la plus enthousiasmante que la profession ait eu depuis longtemps.

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