Le gouvernement Harper a-t-il bien lu la décision de la Cour suprême sur la prostitution? Plusieurs aspects de sa réponse minent la sécurité des prostituées, alors que c'est précisément pour cette raison que des dispositions ont été invalidées.

Le plus haut tribunal du pays a causé une commotion en déchirant des passages du Code criminel sur les maisons closes, la communication et les revenus de la prostitution. Ces dispositions ont été jugées contraires au droit à la sécurité garanti par la Charte canadienne des droits et libertés. L'État a jusqu'en décembre prochain pour rapiécer sa loi. La législation qu'il vient de proposer risque toutefois d'échouer au contrôle de qualité.

Plus qu'une simple réparation, c'est un tout nouvel habillage que le ministre de la Justice Peter MacKay a mis de l'avant. L'élément le plus spectaculaire est la criminalisation des clients - qui seraient passibles de 18 à 60 mois de prison, et 500 à 2000$ d'amendes. Une mesure inspirée du fameux «modèle nordique», implanté en Suède à la fin des années 80 et adopté ou envisagé par d'autres pays depuis.

La Suède a fait le pari de traiter un idéal (la disparition de la prostitution) comme un objectif atteignable, en s'appuyant sur une logique marchande: saper la demande pour éteindre l'offre. Si le nombre de prostituées semble avoir effectivement diminué, la pratique a toujours cours. La répression de la clientèle a cependant réduit l'échange d'informations avant la transaction, empêchant les femmes de prendre les précautions dont elles avaient l'habitude. Une recherche publiée cette semaine sur l'expérience de Vancouver, où la police cible désormais la clientèle plutôt que les prostituées, arrive à des constats similaires.

Officiellement, la plupart des solutions avancées par le gouvernement Harper épargnent les travailleurs du sexe. Sauf une nouvelle infraction: communiquer avec quiconque dans le but d'offrir ou de rendre des services sexuels dans un lieu public près duquel «il est raisonnable de s'attendre» à ce que des mineurs se trouvent. La mesure, bien qu'imprécise, pourrait ratisser large. Assez pour empêcher les prostituées d'évaluer à qui elles ont affaire et les repousser dans des endroits déserts. Pour la sécurité, on repassera.

La Cour suprême a pourtant été claire. L'État a le droit d'encadrer la prostitution «à condition qu'il exerce ce pouvoir sans porter atteinte aux droits constitutionnels des prostituées». Le gouvernement Harper a ouvert des avenues intéressantes, notamment en resserrant la notion d'exploitation. Le proxénétisme serait puni plus sévèrement, mais ce qui n'en est pas (un chauffeur engagé par une escorte, par exemple) serait épargné. Dans l'ensemble, hélas, il se montre plus intéressé à imposer un nouveau modèle de répression qu'à éliminer les problèmes signalés par la Cour suprême. Dommage, car sa législation y retournera tôt ou tard. Et il serait étonnant qu'elle obtienne la note de passage.

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