Les Européens qui demandent à Google d'épurer leur profil devront attendre, et plusieurs risquent d'être déçus. Le précédent créé par la Cour de justice de l'Union européenne n'en est pas moins préoccupant.

Ça se bouscule à la blanchisserie. Vendredi dernier, dans la journée suivant la mise en ligne de son formulaire, Google a reçu quelque 12 000 demandes, rapporte Le Monde. En vertu de la décision rendue à la mi-mai, les citoyens de l'Union européenne (UE) peuvent réclamer que les liens «inadéquats, pas ou plus pertinents ou excessifs au regard des finalités du traitement» soient retirés des résultats de recherches internet.

L'effacement de la tache n'est cependant pas garanti. Les informations jugées d'intérêt public - fraudes, fautes professionnelles, condamnations en justice - n'auront sans doute pas droit au traitement. N'empêche, le potentiel de distorsion est bien réel. La décision vise Google, qui détient environ 90% du marché de la recherche internet dans l'UE. Il y a toutefois lieu de se demander qui sera la prochaine cible de cette directive sur la protection et la circulation des données à caractère personnel.

Pour l'instant, les contenus des sites ne sont pas affectés. Seuls les liens menant à ces informations seront supprimés des résultats de recherche. Et encore, ce «droit à l'oubli» ne s'applique qu'aux versions européennes du moteur de recherche. Les liens jugés embarrassants apparaîtront toujours dans les engins étrangers, dont celui du vaisseau amiral Google.com, facilement accessible en Europe. Tant mieux, car quiconque fait une recherche le moindrement sérieuse trouvera l'information nécessaire. Sauf que cela risque d'inciter les plaignants à exiger un droit de retrait à la source, sur les sites des médias par exemple.

Il faut souhaiter que la Cour européenne n'aille jamais jusque-là. Des informations exactes et jugées d'intérêt public à leur publication ne doivent pas être à la merci d'un droit de censure rétroactif.

Google a été prompte à mettre son formulaire en ligne, mais les demandeurs devront prendre leur mal en patience. Sa procédure n'est pas encore en place, son comité d'experts vient tout juste d'être formé et elle devra collaborer avec les autorités. Bref, ça prendra du temps avant qu'on ait assez de décisions pour voir quels types de cas seront soustraits à l'oeil du public.

De ce côté-ci de l'Atlantique, heureusement, nos tribunaux semblent assez allergiques à de telles dérives. Les hyperliens contenus dans une page web ne constituent pas de la diffusion, a conclu la Cour Suprême en 2011, dans un vibrant plaidoyer en faveur de la liberté d'expression sur internet. «Ce n'est pas parce que l'accessibilité aux archives est plus facile et plus grande aujourd'hui que l'on doit priver le public à l'information publique. On ne peut pas effacer des archives ce qui a été publié», a souligné pour sa part la Cour supérieure l'an dernier.

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