Le marché de la marijuana médicale créé de toutes pièces par Ottawa entre en vigueur dans moins de deux mois. Il risque d'en décevoir plusieurs.

À partir du 1er avril prochain, les utilisateurs de marijuana médicale n'auront plus le droit de cultiver leur propre cannabis ni de consommer celui qu'un particulier fait pousser pour eux. Ce mode de production artisanal en vigueur depuis 13 ans sera interdit pour laisser la place au «marché commercial» - l'expression est de Santé Canada. Les entreprises autorisées par le ministère seront désormais les seules sources légales au pays.

Comme nous l'avons déjà expliqué ici, l'élimination des permis individuels vise avant tout à répondre aux préoccupations du gouvernement Harper: éviter que ces autorisations ne servent à produire pour le marché noir et réduire les frais de gestion à Santé Canada.

Que des permis aient été détournés ne fait pas de doute. Le mois dernier encore, la police de Vancouver Ouest dit avoir trouvé 800 plants dans une maison, cinq fois la quantité autorisée. Mais que les autorités n'aient pas réglé le problème, alors que tous les détenteurs sont connus, est assez embarrassant pour elles.

Santé Canada estime de son côté que le nouveau système lui fera économiser 71 millions par an, puisqu'elle n'aura plus à étudier les demandes des particuliers. Malheureusement, ce sont les patients qui en feront les frais. Pour s'approvisionner auprès des entreprises autorisées, ils devront non seulement leur fournir une prescription (alors que tous les collèges de médecins au pays refusent cette responsabilité), mais payer le tarif demandé.

Les prix affichés par les fournisseurs autorisés jusqu'ici vont de 5$ à 7,60$ le gramme, alors que des patients qui cultivent leur propre cannabis estiment s'en tirer pour 1$ à 4$ le gramme. Pour des gens qui ont besoin de plusieurs grammes par jour et qui, dans certains cas, sont trop malades pour travailler, c'est une différence considérable. Certains craignent également que la variété qui fonctionne pour eux ne soit pas disponible. Le système laisse aussi en plan ceux qui consomment la marijuana en capsules, en teinture ou sous forme comestible, car les producteurs auront seulement le droit de la vendre séchée.

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Santé Canada prévoit que le nombre d'utilisateurs de marijuana médicale atteindra 41 000 cette année. Mais il est évident qu'une partie de ceux qui ne trouveront pas leur compte avec l'offre officielle continueront à faire pousser leurs plants ou s'approvisionneront auprès de sources non autorisées. À ce rythme, la clientèle de près de 310 000 patients promise pour 2024 pourrait bien ne jamais se matérialiser.

Comment réagiront les fournisseurs officiels, qui auront investi des centaines de milliers de dollars pour rendre leurs installations conformes aux exigences fédérales? Feront-ils pression pour qu'on sévisse contre les malades restés en marge du marché captif? C'est à suivre, même si ce ne sera pas nécessairement beau à voir.

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