En moins d'une semaine, deux grands quotidiens américains, le Boston Globe et le Washington Post, ont été vendus à prix réduit. Une autre preuve du déclin de la presse écrite? Pas cette fois. Que des milliardaires qui pourraient investir dans bien d'autres choses rêvent encore de journaux prestigieux est, au contraire, plutôt encourageant.

Samedi dernier, John Henry, qui a fait fortune dans la finance et est le principal actionnaire des Red Sox de Boston (baseball) et du Liverpool Football Club, a indiqué qu'il rachetait le Boston Globe pour 70 millions de dollars. Trois jours plus tard, la Washington Post Company annonçait le transfert de son journal phare au fondateur d'Amazon, Jeff Bezos, pour 250 millions.

Dans les deux cas, il s'agit d'une fraction du prix que ces titres auraient pu aller chercher auparavant: le Globe s'était vendu 1,1 milliard en 1993!

De toute évidence, ces acquéreurs ne sont pas là pour le rendement à court terme. Si vous êtes près de vos sous, vous n'achetez pas le WaPo ou le Globe. Vous faites comme Warren Buffett et vous accumulez les petits quotidiens locaux. (Berkshire Hathaway est aussi actionnaire de la Washington Post Co., mais c'est un investissement amorcé dans les années 70.)

On verra peut-être certaines activités croisées avec les fonds de commerce respectifs de Henry et de Bezos, mais l'attrait de ces journaux va bien au-delà. Malgré leurs difficultés, ils jouissent encore d'une aura peu commune. Beaucoup d'entreprises peuvent enrichir leur propriétaire; rares sont celles qui peuvent leur conférer un tel statut et susciter autant d'envie.

Interrogés sur le quotidien qu'ils rêveraient de posséder, les magnats de la presse du monde entier cités dans l'essai Paper Tigers ont tous eu les mêmes réponses: New York Times, Washington Post, Los Angeles Times. Le plus gros détaillant en ligne de la planète vient de craquer pour le deuxième, et les très sérieux frères Koch, propriétaires d'un des plus grands groupes industriels américains, seraient tentés par le troisième.

Que des gens qui ont à la fois le sens des affaires et les moyens d'attendre s'intéressent aux journaux de qualité est une bonne nouvelle, car c'est le genre de propriétaires dont ces médias ont besoin. Surtout quand ils s'engagent, comme le patron d'Amazon, à ne pas se mêler du quotidien.

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Certes, rien ne dit que Bezos, qui a fait sa place en bousculant l'ordre établi, saura réinventer une institution menacée par internet. Sa capacité à défendre une vision à long terme, toutefois, n'est plus à démontrer. Cela permet d'espérer, au moins pour un temps, que le journal qui a sorti le scoop du Watergate ne finira pas comme un autre imprimé dont la Washington Post Co. s'est départie il y a trois ans, le Newsweek. Cédé pour un dollar symbolique, réduit à une version en ligne, cet hebdomadaire autrefois très en vue vient d'être racheté par une petite boîte peu connue pour une somme non divulguée. Une grande perte, qui ne se mesure pas seulement en dollars.

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