Passée relativement inaperçue ici, la condamnation récente d'Apple pour pratiques anticoncurrentielles dans le livre numérique marque un point de non-retour pour les grandes maisons d'édition.

Pour Apple, l'histoire est loin d'être terminée. Un autre procès déterminera les indemnités et de toute façon, elle ira en appel. Pour les géants de l'édition anglo-saxonne, par contre, un chapitre est clos.

Les cinq grands éditeurs accusés dans cette affaire n'ont pas subi de procès parce qu'ils avaient accepté des ententes au préalable. La décision rendue par la juge fédérale américaine Denise Cote montre néanmoins l'étendue de leur désarroi.

Dire que les politiques de prix d'Amazon ne faisaient pas l'affaire des Hachette, Penguin et cie est un euphémisme. Voir leurs nouveautés à succès offertes à 9,99$ en version numérique les rendait fous. Mais aucun n'osait agir seul de crainte d'en payer le prix. Le iPad leur a semblé la seule planche de salut possible, ils s'y sont accrochés avec l'énergie du désespoir.

L'image n'est pas exagérée. L'entente qu'ils ont négociée pour forcer Amazon à augmenter les prix de leurs titres numériques leur faisait perdre plusieurs dollars sur chaque vente! C'est le sacrifice qu'ils étaient prêts à faire pour préserver ce qui constitue, aujourd'hui encore, le pain et le beurre des éditeurs établis, le livre imprimé traditionnel. Pour cela, il fallait empêcher que son contenu soit accessible à 9,99$ - un prix, qui selon eux, dévalue le produit aux yeux des lecteurs.

Sur ce point, ils ont vu juste. Pourquoi payer un bouquin 35$ quand on peut le télécharger pour trois fois moins cher? Oui, il se vend encore énormément de livres en papier. Mais l'accessibilité du format numérique incite le lecteur à s'interroger sur la valeur ajoutée de l'imprimé. Dans certains cas, il sera prêt à payer pour, dans (bien) d'autres, il se contentera du numérique.

L'offre en français étant encore limitée, on a tendance à sous-estimer le phénomène ici. Les éditeurs auraient toutefois intérêt à prendre note de ce qui s'est passé chez nos voisins.

Les accusés qui ont réussi à faire monter les prix de leurs versions numériques en ont vendu 13% à 14,5% moins, a-t-on appris au procès. Et ce n'est sûrement pas au profit de papier. Random House, qui ne participait pas au stratagème, a vu ses ventes numériques bondir durant cette période. Une étude antérieure de Penguin avait aussi montré que retarder une sortie numérique ne faisait pas vendre plus d'imprimé, mais perdre des clients, car ceux-ci ne revenaient pas quand la version était enfin disponible.

Amazon a eu l'intelligence de comprendre que le lecteur est aussi un consommateur, et s'est sans cesse efforcé de devancer ses attentes. Les éditeurs ont intérêt à en faire autant s'ils ne veulent pas que les prochains chapitres de la transformation de leur industrie soient tous écrits par ce mastodonte du commerce en ligne.

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