Le Canada interdit l'achat et la vente d'organes humains, mais trouve normal que ses citoyens fassent de telles transactions à l'étranger. Il faut amender le Code criminel, réclame le procureur canadien Jonathan Ratel, qui vient de faire condamner cinq hommes dans une histoire de trafic de reins au Kosovo. De fait, tant que les patients des pays riches pourront faire ailleurs ce qui leur est interdit chez eux, on voit mal comment cette forme d'exploitation inhumaine pourra cesser.

Après 3 ans d'enquête impliquant 14 pays, des dizaines de milliers de documents et au moins 23 greffes de rein illégales, le chef du Bureau des procureurs spéciaux du Kosovo a réussi à obtenir la condamnation de cinq complices, dont quatre médecins, la semaine dernière.

«Les Canadiens doivent comprendre qu'en achetant un organe à l'étranger, ils font probablement affaire avec des groupes criminalisés», nous a indiqué Me Ratel en entrevue.

Une autre enquête sur 8 individus soupçonnés, entre autres, de crime organisé et de traite de personnes, a d'ailleurs été ouverte dès le lendemain du verdict.

Les faits reconstitués après la perquisition de la clinique Medicus, près de Pristina, en 2008, ont une sinistre allure de déjà-vu. Les malades ont versé une fortune pour recevoir l'organe vital qui leur manquait alors que les «donneurs», eux, n'ont pas touché toute la somme, beaucoup moins importante, qui leur avait été promise - certains n'ont même rien eu. Les intermédiaires, eux, s'en sont mis plein les poches. Deux d'entre eux, un médecin recherché par Interpol et un entremetteur israélien, sont encore au large.

Après les innombrables reportages sur les malheureux qui ont vendu un rein en Inde, au Pakistan, aux Philippines et, depuis ce procès au Kosovo, dans des ex-républiques soviétiques, les patients ne peuvent plus feindre l'ignorance. Payer pour recevoir une greffe de rein à l'étranger, c'est se rendre complice d'une escroquerie. Même les médecins sont mal à l'aise d'assurer leur suivi retour.

Il ne s'agit pas de condamner les malades qui ont fait ce choix. Les véritables dons d'organes ne suffisant pas à la demande, l'attente d'une greffe sur une liste officielle peut devenir désespérante.

Les États, par contre, ne peuvent pas fermer les yeux sur un commerce de cette nature, qu'ils ne toléreraient pas sur leur propre territoire. Dans le cas du tourisme sexuel, autre commerce immonde s'il en est un, le Canada a modifié son Code criminel pour élargir l'interdiction de la pédophilie à l'extérieur de ses frontières. Une mesure équivalente pour le trafic d'organes enverrait un message dissuasif très clair.

Il est d'ailleurs étonnant qu'aucun pays n'interdise à ses ressortissants de participer à ce genre de transaction alors que tous, sauf l'Iran, considèrent ce commerce illégal chez eux. Même en faisant abstraction des principes, ce serait dans leur intérêt, puisque plusieurs greffés reviennent avec des complications coûteuses à traiter.

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