Jusqu'où faut-il permettre la liberté d'expression, et où commence la propagande haineuse? C'est la question épineuse que l'affaire Whatcott vient de ramener en Cour suprême.

William Whatcott est un chrétien militant qui se considère investi d'une mission divine: dénoncer les dangers des relations sexuelles entre personnes de même sexe - pratiques auxquelles il a lui-même renoncé. C'est ce qui a incité cet infirmier de la Saskatchewan à produire des feuillets virulents s'opposant, entre autres, à ce que l'homosexualité soit discutée à l'école. Des brûlots sur lesquels on pouvait lire: «Nos enfants paieront le prix en maladie, mort, abus... si nous ne disons pas non aux désirs des sodomites de leur faire accepter quelque chose qui, clairement, est mal».

Des citoyens ont porté plainte après avoir trouvé ces documents dans leur boîte à lettres, et deux tribunaux ont jugé qu'ils exposaient les homosexuels à de la haine. Cette interprétation a cependant été renversée en appel. La Commission des droits de la personne de la Saskatchewan cherche aujourd'hui à la faire rétablir, en soutenant que la disposition de son Code sur les publications haineuses constitue une limite justifiable à la liberté d'expression prévue par la Charte canadienne des droits et libertés.

M. Whatcott soutient pour sa part que ses feuillets n'ont pas pour but de susciter de la haine, qu'ils critiquent le comportement sexuel, et qu'en vertu de la liberté d'expression, les commentaires sur ce sujet ont toujours été permis au Canada.

On aurait pu croire que la question avait été vidée en 1990, lorsque la Cour suprême a statué que la limite imposée à la liberté d'expression par les dispositions fédérales sur la propagande haineuse était raisonnable. Mais de toute évidence, le débat est encore bien vivant.

Il faut dire que la première décision était très partagée, à 4 contre 3. Les juges ne seront encore que sept, dont Mme McLachlin, qui faisait partie des dissidents en 1990.

Cette fois, une vingtaine de parties ont demandée le statut d'intervenant. Y compris des groupes comme l'Association canadienne des libertés civiles et les Journalistes canadiens pour la liberté d'expression qui, tout en se dissociant du discours de Whatcott, se portent à la défense de la liberté d'expression. La définition «vague et informe» du discours haineux fournie en 1990 paralyse les médias et le public, dénoncent ces derniers.

Précisons, mais ne jetons pas par-dessus bord au nom de la liberté d'expression. Les interdits contre la propagande haineuse ne protègent pas seulement les minorités. Elles préservent l'espace public, donc tous les citoyens, d'un climat d'hostilité malsain. On devrait pouvoir marcher dans la rue, ou ouvrir sa boîte à lettres, sans se retrouver avec un torchon calomnieux dans les mains. C'est un droit précieux qui, même s'il ne figure pas dans la Charte, mérite d'être défendu.

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