Utilisées depuis longtemps par les médias, les techniques de caméra cachée se révèlent d'une redoutable efficacité entre les mains des citoyens. Pour le meilleur et le pire, comme on le voit ces jours-ci à Toronto.

Utilisées depuis longtemps par les médias, les techniques de caméra cachée se révèlent d'une redoutable efficacité entre les mains des citoyens. Pour le meilleur et le pire, comme on le voit ces jours-ci à Toronto.

Il y a d'abord eu ce changeur endormi dans sa cabine vitrée, au vu et au su de tous. L'image croquée et mise en ligne par un usager a vite été reprise dans les grands médias, avec les questions que l'on imagine. Sans ce précédent, une vidéo diffusée sur YouTube deux semaines plus tard après n'aurait sans doute pas fait autant de bruit. La scène captée à l'aide d'un cellulaire est mal éclairée et difficile à comprendre sans explication. Un client a filmé le chauffeur d'un bus de nuit qui s'accorde une pause pipi-café de plus sept minutes, alors que les passagers poireautent et grelottent dans le véhicule dont la porte est restée ouverte.

La première histoire se termine plutôt bien. Le changeur s'est excusé publiquement: il prend des médicaments pour le coeur qui provoquent la somnolence. À part le fait que sa photo a été récupérée à toutes les sauces, il s'en tire la tête haute: l'affaire a fourni l'occasion de rappeler qu'il a jadis été décoré pour avoir sauvé la vie d'un client handicapé.

Le second cas, par contre, a été jugé suffisamment grave pour que le chauffeur soit suspendu, le temps de faire enquête. S'il est trouvé en tort, ce sera une belle victoire de la prise de parole citoyenne. Une vidéo qui essaime sur le web puis défraie les manchettes a plus de chances de donner des résultats qu'une simple plainte formulée privément à la Toronto Transit Commission (TTC).

Les médias traditionnels utilisent cependant les caméras cachées avec parcimonie, pour diverses raisons - dont l'éthique, la crédibilité et la qualité de l'image. Autant de considérations dont les simples citoyens n'ont pas à se préoccuper. Cette absence de freins favorise évidemment les dérapages.

On se souvient de ces élèves qui provoquaient la colère d'enseignants en classe dans le seul but d'obtenir des images à mettre sur YouTube. À Toronto, ce sont maintenant les employés du transport en commun qui suscitent des vocations. Un passager a ainsi filmé un chauffeur l'expulsant de son véhicule... parce qu'il s'entêtait à le filmer. La séquence placée sur YouTube a été reprise par une station de télé locale. Le chauffeur aurait dû garder son calme, bien sûr. Mais quelle est la valeur de la démonstration? On cherchera en vain l''intérêt public ici.

Le Québec, on le sait, a des règles plus sévères en matière de protection de la vie privée. Heureusement, cela n'interdit pas aux citoyens d'exposer les abus. «Il n'y a aucune expectative de vie privée pour un agent qui dort dans une cabine de métro. Il est d'intérêt public de savoir ce qu'il fait sur ses heures de travail», analyse l'avocat Mark Bantey, spécialiste du droit des médias.

La STM et les autres services de transport en commun devraient s'intéresser au cas de Toronto. Ces histoires de photo et de vidéos ont suscité un torrent de hargne sans commune mesure avec les faits reprochés à ces employés. Écoeurés par la dernière augmentation de tarifs, frustrés par des problèmes de tickets expirés, les usagers ont sauté sur l'occasion qui leur était enfin donnée de s'exprimer. C'est le risque auquel on s'expose lorsqu'on fait la sourde oreille à sa clientèle.

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