Il est choquant de voir avec quelle désinvolture Earl Jones s'est servi dans son compte en fidéicommis. Ce type de compte n'est-il pas censé mettre les avoirs des clients à l'abri des malversations? Hélas! non. Les consommateurs doivent être conscients qu'il n'offre, en soi, qu'une protection très limitée.

Le terme fidéicommis vient d'une expression latine signifiant «ce qui est confié à la bonne foi». C'est dire si le client est à la merci du professionnel qui a la garde de son argent. Heureusement, la très grande majorité d'entre eux sont honnêtes et de bonne foi. Heureusement, car contrairement à la croyance populaire, le titulaire d'un compte en fidéicommis n'a pas à demander d'autorisation ni à fournir d'explication à sa banque lorsqu'il en retire des fonds... même si ces fonds ne lui appartiennent pas. Earl Jones, on l'a vu, ne s'est pas gêné. Autos, condos, droits de scolarité, généreux versements pour lui-même et son épouse. Selon le syndic RSM Richter, le présumé fraudeur a siphonné plus de 12 millions pour financer son train de vie et le fonctionnement de son entreprise. Une somme qui pourrait dépasser les 20 millions quand la firme aura épluché les huit années manquantes. Le compte «Earl Jones in Trust» inspirait confiance, mais il n'éloignait pas le loup de la bergerie.

 

La situation aurait pu être différente si Jones avait été accrédité auprès d'un ordre professionnel ou d'un organisme qui imposent des règles sur l'utilisation des comptes en fidéicommis. Car qui dit règles, dit surveillance et risques de sanction. Le Barreau, par exemple, fait périodiquement des contrôles de ses membres. L'avocat qui puise dans son compte en fidéicommis risque fort de se faire rattraper au détour. Et il risque gros: certains ont été radiés à vie. Bien sûr, il y aura toujours des escrocs pour s'essayer. Mais la perspective de ne plus pouvoir exercer sa profession éloigne certainement bien des tentations. Earl Jones, par contre, n'était enregistré nulle part. Ses clients ne bénéficiaient donc d'aucun effet dissuasif du genre. Non seulement son «compte en fidéicommis» n'offrait-il aucune protection à ses clients, mais il contribuait à leur inspirer confiance - donc, d'après ce qu'on présume aujourd'hui, à les escroquer. Un chef-d'oeuvre de cynisme!

Comme le révèle aujourd'hui notre collègue Francis Vailles, la Banque Royale a jugé l'an dernier que certaines des transactions faites par Earl Jones ne correspondaient pas à «l'utilisation normale» d'un compte en fidéicommis. L'avocat Neil Stein regardera cet aspect pour voir si l'institution pourrait avoir une quelconque responsabilité. Nous sommes impatients de le savoir. Les investisseurs doivent toutefois retenir que les banques, de façon générale, ne sont pas tenues de surveiller ce qui se passe dans un compte en fidéicommis. On ne devrait donc jamais se fier à cette façade rassurante, mais vérifier plutôt si le professionnel qui est derrière est digne de confiance.

 

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