La récession des années 90 nous a fait découvrir le syndrome du survivant. Les employés qui avaient échappé aux compressions s'épuisaient à abattre le travail de deux ou trois personnes, mais n'avaient pas le droit de se plaindre. Quel chômeur n'aurait pas rêvé d'être à leur place? Le suicide présumé de David Kellerman, un haut dirigeant de la société américaine Freddie Mac, nous laisse entrevoir un nouveau phénomène: le syndrome du mort-vivant.

Les financiers qui se démènent pour sauver des sociétés zombies comme Freddie Mac subissent des pressions hallucinantes. Mais ils n'ont pas le droit de se plaindre. Les Américains ne manquent pas une occasion de leur rappeler que sans l'argent de leurs impôts, leur employeur, et leur emploi, auraient déjà disparu. Et quel chômeur lèverait le nez sur leur généreuse rémunération?

 

Il faudra encore plusieurs semaines avant de pouvoir confirmer que David Kellerman, trouvé pendu dans le sous-sol de sa maison mercredi matin, s'est effectivement enlevé la vie. Cependant, les commentaires recueillis après son décès en disent long sur la situation dans laquelle il se débattait.

Ce cadre supérieur de 41 ans, qui avait passé l'essentiel de sa carrière chez Freddie Mac, avait été promu directeur financier par intérim à l'automne dernier, lorsque Washington avait fait le ménage dans la haute direction. Très apprécié de ses collègues, il est décrit comme un homme modeste, intègre et d'une loyauté sans bornes. Mais il trouvait très difficile de concilier les attentes contradictoires des autorités réglementaires et de l'équipe Obama avec les intérêts des actionnaires et de l'entreprise qu'il était censé sauver. (Freddie Mac et sa rivale Fannie Mae garantissent environ la moitié des prêts hypothécaires américains.) La fureur populaire déclenchée par les fameux bonis de rétention l'avait obligé à accepter des mesures de sécurité à son domicile. Ses journées de travail étaient devenues interminables, il avait perdu du poids et beaucoup de sa bonne humeur. Mardi, il avait parlé de démission, mais la direction de l'entreprise lui avait conseillé de prendre quelques jours de congé, rapporte le Washington Post.

David Kellerman a-t-il craqué sous la pression? Impossible de le dire. Sa disparition, toutefois, a ouvert les vannes. «Peu importe où vous travaillez dans le secteur financier, vous vous faites constamment dire que c'est de votre faute et que vous devez travailler aussi fort que possible, sinon la nation va s'effondrer», a confié un cadre de Freddie Mac au New York Times. Des cris du coeur comme celui-là, on risque d'en entendre de plus en plus. On se souvient de la lettre de démission publique de ce vice-président d'AIG qui expliquant pourquoi il estimait mériter son boni. La réaction du grand public a été tellement hostile qu'il faudra du temps avant qu'un de ses pairs tente une telle sortie. Mais plusieurs ont parlé au New York Magazine sous le couvert de l'anonymat, dans le cadre d'un long article publié dans la foulée. Le malaise est évident.

Les financiers américains ne sont pas des victimes. Mais il va falloir admettre qu'il y a une limite à la pression et à l'hostilité qu'un être humain peut encaisser. Une limite au-delà de laquelle l'argent et les titres prestigieux ne sont plus d'aucun secours.

 

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