Les enquêtes ayant mené au spectaculaire coup de filet contre les Hells Angels suivaient trois axes, a mentionné la police hier matin. L'infiltration de l'économie légale est le troisième point nommé, après les meurtres et le trafic de drogue. Et pour l'instant, aucune accusation n'a été associée à ce type d'activité. La population, pourtant, aurait tort de sous-estimer cette menace. Car c'est celle qui risque de la toucher le plus.

Les meurtres, même entre criminels, ne sont évidemment pas sans conséquence sur le reste de la société. Personne n'a oublié le visage du petit Daniel Desrochers, 11 ans, blessé mortellement par l'explosion d'une bombe qui ne lui était pas destinée. L'opération SharQc a aussi permis d'élucider le meurtre de trois victimes innocentes qui avaient été confondues avec des criminels durant la guerre des motards.

 

Le commerce de la drogue ne se déroule pas en vase clos non plus. Cette industrie-là, outre le fait qu'elle soit illégale, démontre une redoutable efficacité dans le recrutement et la fidélisation de ses clients.

Cela dit, il est relativement facile pour l'honnête citoyen de se tenir à l'écart de ces activités. S'il est touché, ce sera vraiment par accident. L'infiltration de l'économie légale, c'est autre chose. L'expression est un peu obscure, mais ses effets n'en sont pas moins concrets. Ils sont extrêmement pernicieux.

Les sociétés qui servent à blanchir et à faire fructifier les produits de la criminalité faussent complètement les règles du jeu économique. Et ce ne sont pas seulement leurs compétiteurs qui en souffrent. Lorsque ces entreprises-là se mettent à dicter les règles du jeu dans les appels d'offres publics, ou dans certains services aux particuliers, la saine concurrence ne joue plus son rôle. C'est inquiétant pour le rapport qualité/prix... et pour les prix tout court. Au bout du compte, c'est le contribuable et le consommateur qui ramassent la note.

Les corps policiers étaient malheureusement avares de détails hier. Il faudra attendre la suite de l'enquête pour connaître les entreprises, et même les secteurs, dans lesquels les Hells placent leurs billes.

L'opération Colisée nous a toutefois donné un aperçu des activités légitimes qui peuvent intéresser les membres du crime organisé - la mafia italienne dans ce cas-ci. De la construction au café en passant par le secteur financier et la crème glacée, l'éventail est très large, montrent les rapports d'écoute électronique.

Les responsables de l'opération SharQc ne nous ont rien appris sur l'autre grosse enquête qui a fait les manchettes au cours des dernières semaines, celle portant sur l'implication des Hells dans le secteur de la construction. «Certains motards semblent démontrer une attirance pour l'industrie de la construction», notaient déjà les policiers dans un rapport divulgué par nos collègues André Cédilot et André Noël en novembre 2006. Près de trois ans plus tard, quels progrès ont-ils accomplis dans le développement de cette nouvelle branche? On se le demande avec inquiétude.

Et comme les Hells emploient des stratégies de blanchiment d'argent beaucoup plus sophistiquées qu'autrefois, et qu'ils font désormais appel aux mêmes types de spécialistes que les gens d'affaires conventionnels (comptables, notaires, fiscalistes, etc.), prouver leur empreinte dans l'économie officielle est une tâche extrêmement longue et complexe. Hélas, il n'est plus permis d'en douter.

 

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