Le nouveau directeur national des urgences nous l'a avoué avec candeur mercredi dernier: être dans une salle d'urgences l'aurait rendu moins nerveux que d'avoir à parler aux médias. Hélas, ses pires appréhensions se sont avérées. Pas à cause des journalistes, mais des politiciens. Le dossier est devenu tellement explosif qu'évoquer des objectifs d'amélioration, même modestes, est désormais tabou.

Le Dr Pierre Savard est arrivé à la tête de la nouvelle Direction nationale des urgences l'été dernier, nommé par Philippe Couillard. Cet urgentologue de 30 ans d'expérience pratique encore à Québec. Bref, lorsqu'il débarque dans une salle débordante de civières, il comprend ce qui cloche.

Des patients parqués sur des civières depuis plus de 48 heures, justement, il y en avait une cinquantaine dans les hôpitaux montréalais mercredi. La semaine précédente, au cours d'une journée particulièrement critique, on en a recensé 308 dans la province, nous a dit le Dr Savard. Les «48 heures», comme on les appelle familièrement, «on a comme objectif d'essayer de les éliminer dans les six prochains mois, la prochaine année», a-t-il indiqué. Le malheureux venait, sans s'en rendre compte, d'allumer une petite bombe.

Rappelons qu'on ne parle pas de cas mineurs, mais de patients assez malades pour devoir être allongés sur une civière. Vouloir qu'ils y passent moins de deux jours avant de monter dans une chambre ou d'être transférés ailleurs, ça paraît plutôt raisonnable. Remercions le Dr Savard: si le grand patron de l'organisme chargé d'améliorer les urgences ne fait pas lui-même preuve d'un peu d'ambition, il n'y a plus grand-chose à espérer du système.

Le ministre de la Santé, malheureusement, ne voit pas les choses du même oeil. Il est irréaliste de penser que, d'ici un an, il n'y aura plus de «48 heures» aux urgences, a indiqué Yves Bolduc en point de presse jeudi. Le Dr Bolduc a choisi ses mots pour nuancer les paroles de son confrère. Mais la réalité n'est pas moins crue: ce gouvernement n'a plus d'objectifs précis pour améliorer les urgences. «Yves Bolduc ne vous promettra rien», a-t-il déclaré. C'est une rupture marquée avec son prédécesseur - le Dr Couillard avait promis la fin des 48 heures en 2003. Et avec le plan stratégique de son propre ministère, qui vise l'atteinte de cette cible d'ici à 2010. Le plan vise aussi à réduire la durée moyenne du séjour sur civière (un peu plus de 16heureset demie actuellement) à 12 heures ou moins. Ce n'est pas un engagement, mais un objectif vers lequel il faut tendre, nous dit aujourd'hui le ministre.

On peut saluer sa franchise, mais qu'arrive-t-il ensuite? Nous avons souvent dénoncé dans ces pages la politisation exagérée des statistiques de santé. Le ministre essaie aujourd'hui de se soustraire à cette tyrannie, en s'engageant seulement à «chercher à améliorer le fonctionnement des urgences». C'est un peu vague. Est-ce toujours une priorité?

Le Dr Bolduc peut bien jouer sur le vocabulaire, il ne réussira pas à faire oublier ce dossier embarrassant. Parce que si la situation des urgences se détériore, ce sont les malades et le personnel qui lui demanderont des comptes. Et de manière beaucoup plus embarrassante que les partis de l'opposition.

akrol@lapresse.ca

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