En quelques semaines, Washington a troqué sa philosophie économique du «laissez-faire» contre un interventionnisme musclé de type «laissez-moi faire». Les salaires des patrons de la finance ne sortiront pas indemnes de cette remise en question.

Pour une fois, l'homme de la rue a parlé plus fort que Wall Street. Pas question de laisser le gouvernement piger 700 milliards dans ses poches pour signer un chèque en blanc secteur financier. Même le secrétaire au Trésor, un ancien de Goldman Sachs, n'a pas réussi à protéger ses anciens confrères. Pour faire adopter son plan de sauvetage, Henry Paulson n'avait pas le choix de lâcher du lest.

 

Il ne faut cependant pas s'attendre à des miracles. L'histoire récente nous a appris à quel point il est difficile de réglementer la paye des patrons. Le meilleur exemple est celui de Bill Clinton, qui a limité le montant qu'une entreprise peut déduire pour le salaire d'un haut dirigeant à 1 million de dollars. Pour un travailleur moyen, c'est une somme mirobolante, mais pour retenir une grosse pointure comme le président de JP Morgan, la firme qui vient de repêcher Bear Stearns et Washington Mutual, il faut mettre pas mal plus sur la table - 28 millions l'an dernier. Le plafond n'a eu aucun effet sur l'enrichissement des dirigeants. Forcées de mettre la pédale douce sur les salaires, les entreprises se sont tout simplement rattrapées avec les primes et les options. Et quand votre rémunération dépend autant des sursauts de la Bourse, les décisions à court terme, même mauvaises, deviennent très tentantes. Dans les cas extrêmes, cela engendre des monstres comme Enron, où le maquillage des chiffres tenait lieu de bons résultats. En suggérant d'imposer un plafond salarial de 400 000$ aux firmes rescapées par Washington, le candidat républicain John McCain a encore une fois démontré sa grande ignorance des enjeux économiques.

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Les financiers américains ont empoché des primes indécentes au cours des dernières années. On peut bien rêver de les punir à grands coups de bâton, mais ce n'est pas ainsi qu'on réglera le problème. Ce qu'il faut, c'est développer des variétés de carottes qui joueront vraiment leur rôle: inciter les PDG à avancer dans la bonne direction. Les comités de rémunération devront revoir leurs stratégies. Pour éviter la répétition de tels désastres, il faudra récompenser la croissance soutenue à moyen et long terme plutôt que les résultats spectaculaires à la petite semaine. Pour les conseils d'administration, à qui on a souvent reproché de manquer de fermeté, c'est un gros mandat. Les pressions des petits actionnaires ne suffiront pas. Aux États-Unis, les gestionnaires de fonds et de caisses de retraite détiennent 60% du marché. S'ils ne se font pas entendre, rien ne changera.

Cela dit, les banquiers eux-mêmes commencent à chercher des moyens de lier plus étroitement la rémunération de leurs employés à leur performance. Ça se discute chez Credit Suisse, UBS et à la Deutsche Bank, rapporte le Financial Times. Évidemment, personne ne veut courir le risque de voir ses meilleurs joueurs filer chez un concurrent plus généreux. Mais avec les licenciements massifs auxquels on assiste ces jours-ci, le climat n'a jamais été aussi propice à un changement de culture.

 

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