La victoire-surprise des conservateurs, lors des élections au Royaume-Uni la semaine dernière, a amené les médias à se demander, pour la énième fois : pourquoi les sondeurs se sont-ils trompés ? Le British Polling Council a annoncé la tenue d'une enquête : « Le fait que tous les sondeurs ont sous-estimé l'avance des conservateurs sur les travaillistes indique que les méthodes employées devraient être soumises à une enquête minutieuse et indépendante. »

Ce phénomène de sous-estimation du vote « conservateur » (c.-à-d. des partis de centre droite) n'est pourtant pas nouveau ni propre au Royaume-Uni. Ce ne sont pas les méthodes des maisons de sondage qu'on devrait analyser, mais notre propension à ignorer les enseignements de l'histoire. Dans le passé, au Canada comme dans plusieurs autres pays, les sondages ont souvent erré, le principal parti de centre-droite obtenant sensiblement plus de voix que ce qu'indiquaient les intentions de vote.

On l'a vu au Québec, où le Parti libéral du Québec fait régulièrement mieux que prévu. Par exemple, lors du scrutin de septembre 2012, on s'attendait à une défaite cuisante du PLQ de Jean Charest ; au lieu des 26-27 % du vote que lui accordaient les enquêtes d'opinion, les libéraux ont recueilli 31 % du vote et limité le Parti québécois à un gouvernement minoritaire.

Lors du référendum sur l'indépendance de l'Écosse, l'an dernier, les sondages indiquaient une mince avance du camp du Non ; le Non a finalement gagné par 10 points. À l'occasion des récentes élections en Israël, les sondeurs prédisaient 20 à 22 sièges au Likoud de Benyamin Nétanyahou ; il en a obtenu 30.

Aux élections albertaines la semaine dernière, les sondages ont correctement annoncé la victoire du NPD. Mais le parti de Rachel Notley a obtenu 40,6 % des voix, soit 3 ou 4 points de moins que ce qu'annonçaient les sondages ; les conservateurs de Jim Prentice ont reçu 27,8 % des votes, entre 4 et 6 points de plus que prévu.

Pourquoi les sondeurs ont-ils tant de mal à mesurer le vote de centre droite ? Deux hypothèses.

D'abord, les personnes âgées sont surreprésentées dans l'électorat « conservateur » ; parmi celles-ci, plusieurs hésitent à révéler leurs intentions à un inconnu au téléphone.

Ensuite, les idées conservatrices n'ont pas la cote dans les milieux journalistiques, intellectuels et artistiques, qui prédominent dans l'espace public. Par conséquent, il n'est pas bien vu d'appuyer une formation de droite, surtout si celle-ci est au gouvernement et a pris des décisions fortement contestées. Dans un tel contexte, bien des gens préfèrent garder leur opinion pour le bulletin de vote.

Il n'est évidemment pas mauvais que les sondeurs s'interrogent sur leurs méthodes. Cependant, ce sont d'abord les médias qui devraient revoir leur approche à l'égard des enquêtes d'opinion, notamment pour tenir compte de cette sous-estimation quasi systématique du vote de centre droite.