Aujourd'hui, il reste peu de chose de la grande popularité qui fut celle de Pierre Elliott Trudeau au Québec. Intellectuels et politiciens nationalistes ont forgé le souvenir d'un premier ministre hostile au progrès de la province. L'opposition de M. Trudeau à l'Accord du lac Meech, auquel beaucoup de Québécois étaient favorables, a en quelque sorte confirmé ce portrait caricatural.

Pourtant, l'oeuvre de Trudeau a un impact durable, généralement bénéfique, sur la vie des Canadiens, notamment les francophones. On en a eu un nouvel exemple vendredi dernier, alors qu'un jugement unanime de la Cour suprême a réaffirmé et précisé l'ampleur de la protection constitutionnelle accordée aux minorités de langues officielles. La garantie de pouvoir faire instruire ses enfants dans la langue minoritaire d'une province (article 23 de la Charte), rappellent les juges, est «une balise importante de l'engagement du Canada envers le bilinguisme et le biculturalisme, élément fondateur de notre pays».

Le problème soumis au plus haut tribunal du pays était le suivant: l'éducation reçue par les enfants de la minorité francophone, dans un quartier de Vancouver, peut-elle être considérée de même qualité que celle des petits anglophones si l'école où cet enseignement est prodigué est surpeuplée et mal équipée? Autrement dit, les minorités de langue officielle ont-elles, en plus du droit de faire instruire leurs enfants dans leur langue, celui d'exiger que cet enseignement se déroule dans des bâtiments aussi spacieux et aussi bien équipés que ceux fréquentés par les jeunes de la majorité? La Cour suprême conclut que oui.

Les magistrats expliquent: «Si l'expérience éducative, prise globalement, est suffisamment supérieure dans les écoles de la majorité linguistique, ce fait pourrait affaiblir la volonté des parents de faire instruire leurs enfants dans la langue de la minorité, ce qui, du coup, risque d'entraîner l'assimilation.»

La Cour a renvoyé l'affaire au tribunal de première instance, tout en pressant les parties de s'entendre à l'amiable sur des mesures réparatrices. «La situation est urgente, dit-elle, car le risque d'assimilation augmente avec les années scolaires qui s'écoulent sans que les gouvernements exécutent les obligations que leur impose l'article 23.»

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Certains diront qu'il est trop tard, que le rêve de Pierre Elliott Trudeau d'un Canada bilingue d'un océan à l'autre est mort et enterré.

Sauf que tel n'a jamais été le projet de M. Trudeau. Celui-ci voulait que les minorités de langue officielle puissent préserver leur culture et traiter avec le gouvernement du pays dans leur langue, pas que tous les Canadiens deviennent bilingues.

De plus, si les francophones hors-Québec ont été en grand nombre assimilés par la majorité anglaise, ces communautés font preuve depuis plusieurs années d'un remarquable dynamisme, notamment en s'appuyant sur les droits linguistiques que la Charte leur a accordés. La partie n'est pas gagnée, loin de là. Mais sans le legs de M. Trudeau, elle serait déjà perdue.