Pourquoi diable le Canada va-t-il se mettre à nouveau le bras dans le tordeur moyen-oriental? L'opération militaire lancée par les États-Unis dans l'espoir de «détruire» l'État islamique (ÉI), opération à laquelle le gouvernement Harper a décidé de participer, est vouée à l'échec. Comme toutes les offensives menées dans la région par les Américains et leurs alliés, elle fera des milliers de morts et des dommages considérables. À la fin, les États de la région seront tout aussi instables, et les terroristes en profiteront pour se trouver un nouveau terrain de jeu.

Aussi fous soient les combattants de l'ÉI, rien n'indique qu'ils constituent à l'heure actuelle une menace pour l'Occident. Une surveillance étroite et des actions ciblées seraient plus indiquées que la stratégie d'envergure dévoilée mercredi soir par le président.

Surtout que cette stratégie repose sur des fondements très fragiles.

Comme la population américaine ne veut pas voir ses jeunes hommes et femmes retourner par milliers dans la région, Washington doit se contenter de «conseiller» et d'équiper les adversaires hétéroclites de l'ÉI. Ceux-ci sont rarement fiables, qu'il s'agisse du gouvernement irakien ou, en Syrie, du mouvement d'opposition au régime al-Assad.

L'expérience de l'après 11 septembre 2001 aurait dû enseigner aux États-Unis que leurs interventions dans cette région complexe et explosive font généralement plus de mal que de bien. Nous partageons l'opinion exprimée récemment dans nos pages par l'économiste Jeffrey Sachs, qui invitait les puissances occidentales à laisser le Moyen-Orient tranquille: «Après des décennies d'interventions cyniques et souvent secrètes des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France, de la Russie et encore d'autres pays, les institutions politiques de la région sont gangrenées par la corruption, le sectarisme et la force brutale. Pourtant, à chaque nouvelle crise au Moyen-Orient, les États-Unis interviennent, que ce soit en suscitant un changement de gouvernement ou en bombardant l'ennemi du moment. Violences et arrangements en coulisses continuent à régner en maître.»

Ne faut-il pas tuer dans l'oeuf l'État islamique, avant qu'il ne devienne le prochain Al-Qaïda? Les opérations armées contre les islamistes leur font mal à court terme, sans doute, mais elles leur fournissent aussi des recrues par centaines. En appuyant la nouvelle stratégie de M. Obama, le gouvernement Harper nourrira l'hostilité croissante des Arabes et des musulmans de la région à l'égard du Canada, un sentiment déjà alimenté par l'appui inconditionnel apporté à Israël par les conservateurs. Les risques d'attentats terroristes contre nous seront accrus plutôt que diminués.

Si les États-Unis, le Royaume-Uni et la France veulent remettre leurs bottes dans ce nid de guêpes, qu'ils le fassent. Ottawa contribuerait davantage à la paix dans la région et dans le monde en se consacrant à l'aide aux populations locales qui se retrouvent encore une fois victimes de la folie des hommes.