Des informations obtenues par le Globe and Mail montrent que le gouvernement Harper a sciemment ignoré les suggestions et avertissements servis par le milieu juridique québécois en nommant le juge Marc Nadon à la Cour suprême. Décidé à choisir un magistrat à la fois conservateur et docile, le gouvernement a placé quatre juges de la Cour fédérale sur la liste de six noms remise au comité de députés chargé d'examiner les candidatures. Cette façon de faire garantissait à M. Harper qu'au moins un juge de la Cour fédérale ferait partie de la «courte liste» de trois noms que lui remettrait le comité.

Ottawa a fait fi de l'opinion des juges et avocats éminents de la province qui ont été consultés. Ceux-ci l'ont notamment mis en garde contre les risques de nommer un juge venant de la Cour fédérale, alors que la Loi sur la Cour suprême semblait écarter ces magistrats (ce que la Cour suprême a confirmé en mars). Le premier ministre n'en a fait qu'à sa tête, préférant M. Nadon à la juge Marie-France Bich, de la Cour d'appel du Québec, qui de l'avis général était de loin la plus qualifiée des trois finalistes. «C'est un camouflet, un désaveu des juges du Québec», a déclaré un avocat réputé de la province.

Nous avons récemment dénoncé les attaques sournoises lancées par le premier ministre et son cabinet contre la juge en chef, Beverley McLachlin. Les informations publiées par le quotidien torontois aggravent les choses: non seulement les conservateurs ont-ils manqué de respect pour la Cour, mais encore ils ont démontré leur mépris pour le Québec.

Dans son jugement sur l'affaire Nadon, la Cour suprême a rappelé l'importance de la présence dans ses rangs de trois juges représentatifs du milieu juridique québécois: il s'agit de «garantir que la Cour suprême possède une expertise en droit civil et que les traditions juridiques et les valeurs sociales du Québec y soient représentées, ainsi qu'afin de renforcer la confiance des Québécois envers la Cour». En nommant une personne dont la compétence et l'admissibilité étaient incertaines, M. Harper a fait la preuve qu'il cherchait un pion pour l'idéologie conservatrice plutôt que le candidat québécois le mieux qualifié.

Une fois le jugement de la Cour tombé, le premier ministre aurait dû procéder rapidement en nommant la juge Bich, désormais la seule candidate admissible de la courte liste. Deux mois plus tard, le gouvernement n'a toujours pas fait connaître son choix.

Par conséquent, depuis neuf mois, le Québec n'a que deux représentants sur le banc du plus haut tribunal du pays. Un de ceux-là, le juge Louis LeBel, a annoncé vendredi dernier qu'il prendra sa retraite le 30 novembre prochain. «Les plans en vue de son remplacement à la Cour suprême du Canada seront annoncés en temps et lieu», a fait savoir le premier ministre dans un communiqué. Quel mauvais tour M. Harper jouera-t-il aux Québécois cette fois-ci?