Poursuivant sa charge visant à modifier unilatéralement les règles du jeu électoral, le gouvernement de Stephen Harper a franchi la semaine dernière la frontière de l'inadmissible. Mardi, devant le comité du Sénat étudiant son projet de loi C-23, le ministre Pierre Poilievre a lancé une attaque personnelle contre le Directeur général des élections (DGE) du Canada, Marc Mayrand. Parce que celui-ci s'oppose à plusieurs des changements proposés, M. Poilievre l'a accusé de rechercher «plus de pouvoirs, plus d'argent et moins d'imputabilité». Il a qualifié les arguments de M. Mayrand d'«étonnants» et «stupéfiants».

Un tel assaut d'un ministre contre un officier du Parlement, nommé par la Chambre des communes à l'unanimité en 2007, est sans précédent. De même que l'est l'intention du gouvernement d'apporter des changements importants à la Loi électorale du Canada malgré l'opposition du DGE, du Commissaire aux élections, des partis d'opposition, d'à peu près tous les experts dans le domaine et de l'ancienne vérificatrice générale du Canada, Sheila Fraser.

«Dans une démocratie, a tonné M. Poilievre, ce sont les parlementaires qui décident. Les officiers du Parlement ne font que donner des conseils.» Bien sûr. Cependant, le gouvernement a le devoir d'étudier sérieusement et respectueusement les suggestions de ces officiers. Or, usant d'une méthode chère à M. Harper et à ses troupes de choc, le ministre a plutôt cherché à démolir la crédibilité du DGE.

Rappelons que le projet de «Loi sur l'intégrité des élections» prévoit de nombreuses modifications dont certaines semblent avoir comme seul but d'aider la cause du Parti conservateur. Les nouvelles dispositions aboliraient le recours à un répondant pour les électeurs ne disposant pas des pièces d'identité exigées. Lors des dernières élections générales, 120 000 personnes ont pu voter grâce à ce mode d'identification.

Le gouvernement veut aussi limiter les activités de communication d'Élections Canada, de sorte que l'organisme puisse seulement annoncer comment, où et quand voter. Les campagnes de promotion du droit de vote et d'éducation ne feraient plus partie de son mandat.

Devant des comités des Communes et du Sénat, les témoins se succèdent depuis un mois pour dénoncer le projet de loi C-23. Commentaire abject de M. Polievre: plusieurs de ces témoins, dont Sheila Fraser, sont payés par Élections Canada. Il est exact que certains ont obtenu des contrats de recherche de l'organisme; cela ne les rend pas moins crédibles. Mme Fraser est membre d'un comité consultatif d'Élections Canada; qui doute de son intégrité?

On le constate à nouveau, aucune institution, aucune personne n'est à l'abri des attaques sournoises du gouvernement Harper. Dans un ouvrage à paraître, un ancien conseiller, Tom Flanagan, s'inquiète de la tendance du chef conservateur de «pousser trop fort sur le filet de règles limitant le pouvoir d'un gouvernement constitutionnel». Jusqu'où ira Stephen Harper?