Le gouvernement Harper continue de faire la sourde oreille au torrent de critiques qui s'est abattu sur son projet de réforme de la Loi électorale. Aux Communes, le premier ministre répond aux questions à ce sujet par de bêtes attaques partisanes. Le ministre responsable, Pierre Poilievre, soutient que le projet de loi C-23 est «formidable». La sénatrice conservatrice Marjory LeBreton dénonce «l'hystérie» des opposants.

Or, qui sont ces opposants «hystériques» ? À peu près tous les hauts fonctionnaires qui gèrent ou ont géré le processus électoral au Canada, les universitaires qui s'intéressent à ces questions, et l'auteur d'un rapport cité par le gouvernement pour justifier sa réforme.

L'ancienne vérificatrice générale Sheila Fraser vient d'ajouter sa voix au choeur des critiques. «Les élections sont le fondement de notre démocratie, a-t-elle dit à La Presse Canadienne. Si vous ne jouissez pas d'un processus électoral vraiment équitable, un processus géré par un organisme tout à fait indépendant, alors il s'agit d'une attaque contre notre démocratie.»

L'abandon du système de répondant est l'un des changements contestés. En vertu de ce système, un citoyen ne possédant pas les documents requis pour prouver son identité et son lieu de résidence peut faire appel à une connaissance. Celle-ci se porte garante, sous serment, de l'identité et de l'adresse du votant. Lors des élections générales de 2011, 120 000 Canadiens, surtout des Autochtones, des jeunes et des personnes âgées, ont pu voter grâce à cette formule.

Le gouvernement Harper soutient que le système de répondant facilite la fraude. Il s'appuie sur le rapport réalisé par l'expert Harry Neufeld à la suite des élections de 2011. Or, M. Neufeld a contredit le gouvernement: «Dans mon rapport, je ne fais pas de lien entre les problèmes de documentation qui sont survenus en marge du recours à des répondants et d'éventuelles fraudes.»

Le projet de loi prévoit que le fonctionnaire responsable des enquêtes relatives à la Loi électorale, le Commissaire aux élections, relève désormais du Procureur général, un membre du Cabinet, plutôt que du Directeur général des élections. Ainsi, selon le gouvernement, le Commissaire sera plus indépendant et aura «plus de dents». Sauf que le titulaire actuel du poste, Yves Côté, soutient qu'au contraire, ce changement rendra les enquêtes moins efficaces.

En maintes occasions, ce gouvernement a ignoré le mécontentement provoqué par ses politiques, peu importe la crédibilité des opposants et la qualité de leurs arguments. Dans le cas du projet de loi C-23, cette arrogance est inadmissible. Un gouvernement ne devrait pas changer unilatéralement, à des fins partisanes ou idéologiques, les règles de l'exercice électoral. S'il persiste, Stephen Harper aura atteint un sommet de cynisme tel que nous ne croyions pas en voir un jour en politique canadienne.