La Cour suprême a rendu vendredi un jugement dont tous ne réalisent peut-être pas la portée historique. Le tribunal n'a pas seulement servi un camouflet au gouvernement Harper en annulant la nomination du juge Marc Nadon; il a accordé à la province de Québec une protection constitutionnelle qu'elle réclamait depuis des décennies.

La Loi sur la Cour suprême prévoit que trois des neuf juges de la Cour viennent du Québec. La province voulait que ce nombre soit enchâssé dans la Constitution, de sorte que sa représentation au sein du plus haut tribunal du pays soit garantie. Dans l'avis publié vendredi, la Cour suprême annonce que cette protection existe déjà.

En effet, la Constitution de 1982 statue que la «composition» de la Cour ne peut être modifiée sans l'accord du gouvernement fédéral et de toutes les provinces.

Or, explique l'arrêt, la représentation du Québec au sein du tribunal est un élément essentiel de sa «composition»: «Le consentement unanime exigé pour changer la composition de la Cour a donné au Québec la garantie constitutionnelle que sa représentation à la Cour ne sera pas modifiée sans son consentement.»

La présence de trois magistrats du Québec, ajoute la majorité (six juges sur sept), est le fondement du «compromis historique» qui a mené à la création de la Cour suprême: «L'objectif est de garantir que non seulement les juristes civilistes expérimentés siègent à la Cour, mais également que les traditions juridiques et les valeurs sociales distinctes du Québec y soient représentées, pour renforcer la confiance des Québécois envers la Cour en tant qu'arbitre ultime de leurs droits.»

Le gouvernement du Parti québécois s'est réjoui d'avoir gagné «sur toute la ligne» et s'est attribué le mérite de cette victoire. Or, si l'avis de la Cour représente indéniablement un gain pour la province, il s'agit d'une défaite pour les indépendantistes. À la suite de Duplessis, ne soutiennent-ils pas depuis des lunes que «comme la tour de Pise, la Cour suprême penche toujours du même côté?» Le tribunal vient encore une fois de démontrer son indépendance vis-à-vis du gouvernement fédéral.

Le rejet de la nomination du juge Nadon a malheureusement un impact secondaire. En interprétant sa loi constitutive comme elle le fait, la Cour confirme qu'un Québécois siégeant à la Cour fédérale ou à la Cour d'appel fédérale, même s'il est un civiliste éminent, ne pourra pas être promu à la Cour suprême. Selon nous, cette règle devrait être amendée. Toutefois, compte tenu de l'avis rendu vendredi, une telle modification ne pourra se faire que par la voie de négociations constitutionnelles.

Dans l'immédiat, le gouvernement Harper doit tirer une leçon de ce gâchis et nommer à la Cour suprême un juriste québécois dont la compétence, notamment l'expertise en droit civil, ne fait aucun doute.