La Cour suprême a entendu, hier, les arguments des parties dans le renvoi relatif à la nomination du juge Marc Nadon. À cette occasion, les avocats du gouvernement du Québec ont présenté un argumentaire relevant d'un déplorable esprit de clocher.

Selon la province, une personne qui n'est plus membre du Barreau, par exemple parce qu'elle a été nommée à une cour fédérale ou occupe une fonction au sein d'une organisation internationale, n'est pas éligible à l'un des trois postes réservés aux civilistes québécois sur le banc du plus haut tribunal du pays. De dire Me André Fauteux, pour être en mesure de représenter fidèlement la tradition juridique du Québec à la Cour suprême, un juge ou un avocat «doit baigner dans l'environnement juridique du Québec de manière contemporaine». Ainsi, un juriste québécois ambitionnant d'accéder un jour à la Cour suprême devrait soigneusement éviter de mener une partie de sa carrière dans une autre province ou à l'étranger. Ce serait la seule façon, selon le mémoire du Procureur général du Québec, «de garantir que le candidat a conservé des liens tangibles et concrets avec la tradition civiliste du Québec».

On est renversé d'entendre un tel propos. De nos jours, les Québécois sont disposés à pratiquer leur métier n'importe où sur la planète. Ils n'en deviennent pas moins Québécois; ils y gagnent en expériences et en compétences, et en font profiter la province. Selon Québec, cela ne vaudrait pas pour les avocats, qui feraient mieux de s'enfermer dans leur cabinet de la rue Principale à Trois-Pistoles, de crainte de perdre leur pureté civiliste.

En analysant cette affaire, il faut distinguer les différents enjeux. Il ne s'agit pas ici de prendre position sur la compétence de Marc Nadon; ce n'est pas la question soumise à la Cour suprême.

Les juges doivent interpréter les articles 5 et 6 de la Loi sur la Cour suprême afin de déterminer si les critères énoncés rendent M. Nadon inéligible parce qu'il n'était pas, au moment de sa nomination, membre du Barreau ou juge à la Cour d'appel ou à la Cour supérieure. Nous laissons au tribunal le soin de trancher cette question complexe.

Sur le fond, il est clair à nos yeux qu'un juge de la Cour fédérale ou de la Cour d'appel fédérale ne devrait pas de ce fait être exclu d'une accession à la Cour suprême. Si c'était le cas, comme l'a fait valoir hier Me Sébastien Grammond, on arriverait à l'absurdité qu'un juge nommé à la Cour fédérale pour y représenter le Québec perdrait du même coup sa qualité pour le faire éventuellement à la Cour suprême.

Le gouvernement Harper a raison de soutenir que la Loi sur la Cour suprême devait être précisée afin d'éliminer toute ambiguïté à ce sujet. Cependant, il aurait fallu qu'Ottawa modifie la Loi dans l'ordre, plutôt que d'agir cavalièrement et précipitamment, comme il le fait si souvent, au mépris des traditions et des institutions canadiennes.