Si le Sénat du Canada était le lieu de sagesse envisagé par les Pères de la Confédération, il n'aurait pas sombré dans la partisanerie et l'arbitraire qui caractérisent les débats sur les dépenses des sénateurs Brazeau, Duffy et Wallin.

Comme l'a souligné le leader de l'opposition libérale à la chambre haute, Jim Cowan: «Rares sont les fois où autant de gens se sont intéressés à ce qui se passe au Sénat. Nous devons donc être très prudents non seulement dans les mesures que nous prenons, mais dans notre façon de faire.»

Pour bien des observateurs et citoyens, l'affaire est classée: les trois sénateurs ont dépensé inconsidérément les fonds publics et pour cette raison, ils doivent être chassés du Sénat.

Quand on y regarde de près, les choses sont loin d'être aussi limpides. Les rapports de la firme Deloitte au sujet des dépenses des sénateurs visés soulèvent autant de questions qu'ils ne fournissent de réponses. Par exemple, s'il n'y avait pas avant juin 2012 de critères clairs pour déterminer où se trouve la «résidence principale» d'un sénateur, comment peut-on reprocher à Mike Duffy d'avoir déclaré que celle-ci se trouve à l'Île-du-Prince-Edouard, où il passe tout de même 30% de son temps? Parce que, répondent les accusateurs en se fondant sur des critères ajoutés par la suite,

M. Duffy n'a pas de carte d'assurance-maladie de sa supposée province de résidence; il n'y paie pas non plus ses impôts.

Soit. Alors pourquoi blâme-t-on le sénateur Patrick Brazeau d'avoir déclaré que sa résidence principale se trouve au Québec (à Maniwaki) alors qu'il satisfait tous les nouveaux critères (permis de conduire, carte-soleil, déclaration de revenus, liste électorale du Québec)?

De plus, des allégations troublantes ont été faites au sujet du rôle du bureau du premier ministre et du premier ministre lui-même dans cette affaire. Compte tenu de tout cela, un Sénat sérieux déciderait d'aller au fond des choses plutôt que de balayer le scandale sous le tapis en expulsant les brebis galeuses. 

Des sénateurs assumant leurs responsabilités constitutionnelles au lieu de se soumettre bêtement à la ligne de parti chargeraient le Comité permanent de la régie interne de mener une enquête minutieuse, sous l'oeil des caméras.

Les sénateurs impliqués seraient invités à témoigner sous serment. Les administrateurs du budget de la seconde chambre devraient expliquer si, comme le prétendent Brazeau, Duffy et Wallin, ce qu'ils ont fait était jusque là pratique courante. Enfin, le comité sénatorial convoquerait des membres de l'entourage du premier ministre.

Pour une fois, les projecteurs sont braqués sur le Sénat. Or, en se comportant exactement comme leurs collègues de la Chambre des communes, partisans à l'extrême, peu capables d'étudier les questions à fond, les sénateurs ne font que confirmer la piètre opinion qu'ont d'eux la plupart des Canadiens.