Avant de devenir premier ministre, Stephen Harper avait consacré beaucoup de temps à réfléchir aux moyens de réformer le Sénat du Canada. Paradoxalement, son gouvernement est probablement celui qui a fait le plus de tort à cette institution. Or, malgré ses grandes faiblesses, celle-ci demeure essentielle au bon fonctionnement de la fédération.

M. Harper a nommé des personnes à la Chambre haute dont le sens de l'éthique était passablement émoussé. Quand les premières allégations de dépenses douteuses ont surgi, le gouvernement conservateur a défendu bec et ongles les sénateurs impliqués.

Le scandale prenant de l'ampleur et se rapprochant lentement mais sûrement du premier ministre lui-même, on a multiplié les manoeuvres pour étouffer l'affaire. Aujourd'hui, même si tous les faits ne sont pas encore connus, le premier ministre laisse tomber ceux qu'il défendait jadis et veut les expulser du Sénat. 

Le débat en cours a transformé celui-ci en tribunal d'inquisition. Le climat tendu qui y règne ces jours-ci est à l'opposé de celui qui devrait caractériser cette «seconde chambre de réflexion».

Convaincu depuis longtemps de la nécessité de réformer le Sénat, le premier ministre aurait dû amorcer des négociations avec les provinces. Allergique à ce genre d'exercices, le chef conservateur a plutôt tenté de faire indirectement ce qu'il ne pouvait faire directement en présentant un projet de loi modifiant unilatéralement le mode de sélection des sénateurs. Dans un avis publié jeudi, la Cour d'appel du Québec a catégoriquement rejeté l'approche fédérale.

«Les Pères fondateurs ont longuement discuté du rôle et de la composition du Sénat, ont rappelé les cinq juges de la Cour. Il est incontestable que cette institution est une composante fondamentale du compromis fédéral de 1867.»

C'est pourquoi la Constitution de 1982 exige que toute modification relative au mode de sélection des sénateurs soit approuvée par au moins 7 provinces représentant 50% de la population du pays. La barre est haute, mais ce n'est pas une raison pour passer en dessous, affirme la Cour d'appel à juste titre: «Il découle du principe de la suprématie de la Constitution que les acteurs politiques doivent se conformer à son texte et son esprit. Ils ne sauraient, sous prétexte que la procédure de modification est complexe, voir lourde, tenter de la contourner.»

Souhaitons que la Cour suprême en arrive à la même conclusion. Le gouvernement Harper devra alors entreprendre la démarche, difficile mais essentielle, menant à une véritable réforme du Sénat. Plus tardera cette réforme, plus l'abolition gagnera d'adeptes. Or, la disparition de la Chambre haute serait néfaste pour la gouverne nationale et pour l'équilibre fédératif.