Le gouvernement du Québec refuse de scinder sa «charte des valeurs québécoises» pour en retirer la partie la plus litigieuse, l'interdiction pour les employés du secteur public de porter des signes religieux. Cette attitude accroît les risques que, si le gouvernement veut faire adopter son projet, la question des symboles religieux fasse l'objet d'un marchandage entre le PQ et la CAQ, une négociation où les calculs partisans pèseraient plus lourd que les principes.

Le PQ veut proscrire les signes religieux dans toute la fonction publique. La CAQ prône que la mesure soit imposée seulement aux représentants de l'État en position d'autorité et aux enseignants. Jusqu'où le PQ acceptera-t-il de réduire la portée de sa proposition? Exigera-t-il qu'on ajoute les éducatrices de CPE à la liste de la CAQ? Les employés qui sont en contact avec le public? Chaque parti aura pour priorité de sortir gagnant du bras de fer aux yeux de l'électorat.

Pourtant, cette question délicate mérite d'être étudiée avec rigueur et patience. Avant de prendre une décision, les élus devraient se poser de nombreuses questions en allant au-delà des réponses simplistes. Par exemple:

- Aujourd'hui, combien y a-t-il d'employés dans le secteur public portant un signe religieux ostentatoire? Combien de juges, de policiers, d'enseignants, d'éducatrices? Cela cause-t-il des problèmes?

- Pourquoi un juge arborant une kippa ou un crucifix serait-il nécessairement moins objectif qu'un autre n'en portant pas? On parle d'apparence de neutralité; exige-t-on que les accusés noirs soient jugés par un magistrat de couleur? Qu'une cause d'agression sexuelle contre une femme soit entendue par un juge de sexe féminin?

- Un professeur de français ou d'éducation physique au secondaire portant un signe religieux est-il vraiment en mesure d'influencer ses élèves en matière de foi? Pourquoi s'inquiéter à ce point du prosélytisme religieux alors que le prosélytisme politique n'est pas rare dans les classes?

- Comment justifier la prohibition des signes religieux si le cours Éthique et culture religieuse a comme objectif de «développer chez les élèves un esprit d'ouverture et de discernement par rapport au phénomène religieux» ?

Les députés devraient toujours garder à l'esprit qu'il est question ici d'un droit fondamental, celui d'exprimer librement ses croyances. Toute limite significative à l'exercice d'un tel droit devrait faire l'objet d'un examen approfondi. Surtout qu'il n'y a aucune urgence, le port de signes religieux dans le secteur public québécois étant un phénomène marginal.

Ces considérations militent en faveur de la voie rassembleuse que nous suggérions mardi: l'adoption rapide des aspects du projet gouvernemental faisant consensus et le renvoi en commission parlementaire de la question des symboles religieux.