Aveuglé par le potentiel électoral de la question identitaire, le gouvernement du Parti québécois a publié mercredi des orientations qui, si elles deviennent loi, feront reculer le Québec d'un demi-siècle. Le débat ainsi lancé, qu'aucune réalité n'impose, divisera le Québec. Certains fossés creusés le resteront longtemps. Les membres de minorités qui contribuent chaque jour à bâtir le Québec se sentiront ostracisés et le feront savoir au monde. La francisation des immigrants sera freinée.

Certains éléments du projet font consensus, notamment l'affirmation de la neutralité de l'État et celle de balises aux accommodements religieux. Ces énoncés ne changeront rien à ce qui existe déjà. Les balises énoncées par le ministre Bernard Drainville sont celles que la jurisprudence a tracées. La neutralité de l'État québécois est un fait incontesté depuis la Révolution tranquille. Si ajouter une deuxième paire de bretelles à la ceinture permet de rassurer une partie de la population, il n'y a pas de mal.

Il en va autrement de l'interdiction des signes religieux «ostentatoires» dans les institutions publiques. Cette politique va à l'encontre de l'histoire, des traditions, disons-le, des valeurs québécoises. Il s'agit incontestablement d'une violation de la liberté de religion qui, en droit international comme en droit canadien et québécois, comporte la liberté de manifester sa foi en public. Cette violation est-elle justifiée par un grave péril? Le gouvernement du Québec aura bien du mal à en faire la démonstration devant les tribunaux, lui qui est incapable de dire combien d'employés du secteur public portent un signe religieux. Tout indique que ce nombre est minuscule et que le comportement des personnes en question est à des années-lumière du prosélytisme. Fanfarons, les péquistes prétendent s'attaquer avec «courage» (dixit Bernard Landry) à un problème qui n'existe pas. Ce faisant, par calcul, en toute connaissance de cause, ils avalisent et nourrissent les pires préjugés («On ne se laissera pas envahir!»). C'est lâche. C'est honteux.

Québec envoie aux minorités religieuses un message hostile et méprisant: nous ne voulons de vous que si, en plus de parler français, vous laissez à la maison vos convictions les plus profondes. L'effet sera terrible; mille fois l'impact des infâmes «votes ethniques» de Jacques Parizeau en 1995.

Tous ceux qui, de confession juive, sikhe ou musulmane, ont été interviewés jusqu'ici ont dit qu'ils quitteront leur emploi si on les force à enlever leur signe religieux. Les péquistes minimisent le risque d'exode en donnant l'exemple de la France. Mais, en dépit de leurs fantasmes, le Québec n'est pas et ne sera jamais la France.

S'il est expulsé du monde du travail francophone, le membre d'une minorité religieuse n'aura pas besoin de changer de pays; les autres provinces lui ouvriront tout grands leurs bras. Il pourra même se trouver un emploi ici, au Québec, dans les villes, hôpitaux et écoles qui demanderont d'être exemptés de l'interdiction des signes religieux ou qui refuseront de l'appliquer. Parmi ceux-ci, on comptera la totalité des institutions anglo-Québécoises. La charte du gouvernement Marois repoussera donc vers la communauté anglophone des gens qui s'étaient intégrés ou étaient en voie de s'intégrer au Québec français.

«Un Québec pour tous», martèle le slogan du gouvernement Marois. On voit qu'en réalité, ce que veulent les péquistes, c'est «Un Québec pour nous». Pas le «nous» de Lesage, Lévesque et Bourassa. Celui de Duplessis et Parizeau.