Le monde espérait que l'élection du président Mohamed Morsi, il y a un an, consacrerait l'accession de l'Égypte au rang des démocraties. Les événements des derniers jours révèlent qu'on est encore loin du compte. Ce ne sont toujours pas les urnes qui décident en Égypte, mais la foule et l'armée.

Depuis que les militaires ont destitué Morsi mercredi, un débat politico-sémantique a cours. Pour les Frères musulmans, grands perdants des récents développements, il s'agit d'un «coup d'État complet». Pour ceux qui exigeaient le départ du président islamiste, on ne peut pas parler d'un coup d'État. Ou du moins, il s'agit d'un «coup d'État démocratique», puisque l'armée a répondu à l'appel du peuple.

Les démocrates tenant ce langage esquivent ainsi une réalité très désagréable: un coup d'État est un coup d'État. Une société incapable de changer de gouvernement autrement qu'en ayant recours aux généraux et aux chars n'est pas démocratique.

On ne pouvait que ressentir un profond malaise en entendant les libéraux égyptiens et le président syrien Bachar al-Assad applaudir en choeur le départ forcé de Morsi. Étrange alliance... Et cette armée, aujourd'hui bienfaitrice, n'est-elle pas la même qui a écrasé toute velléité démocratique pendant un demi-siècle?

Cela dit, l'intervention des forces armées était sans doute la moins mauvaise solution. Sans cette action draconienne, la présence constante de millions de personnes dans les rues des villes égyptiennes n'aurait pu que mal tourner.

De l'avis d'une très grande majorité d'observateurs, Mohamed Morsi est responsable de son immense impopularité. Élu grâce au soutien de nombreux Égyptiens opposés à l'islamisme, il a voulu gouverner comme si les idées des Frères musulmans étaient endossées par la majorité des citoyens. Devant les obstacles qui se multipliaient, il a eu recours à des méthodes autoritaires. De mois en mois, il perdait des appuis.

En démocratie, lorsque des foules aussi immenses prennent la rue, il n'y a qu'une seule solution: en appeler au peuple. C'est ce que Morsi aurait dû faire au lieu de s'accrocher à une «légitimité» gravement endommagée. Son refus d'offrir à la population l'occasion de se prononcer a bloqué toute issue démocratique à la crise et scellé son propre sort.

Le président désigné par les militaires, le juge Adli Mansour, a invité les Frères musulmans à «prendre part à la construction du pays», soulignant qu'ils «font partie du peuple.» Ce ton conciliant a toutefois été contredit par l'arrestation de plusieurs dirigeants du mouvement. Les islamistes ont appelé à des manifestations aujourd'hui, à la sortie des mosquées. Quoi qu'espèrent les centaines de milliers de personnes qui célébraient mercredi soir, place Tahrir, l'accession de l'Égypte au calme et à la démocratie est très loin d'être assurée.