Le juge Marc-André Blanchard, de la Cour supérieure, avait bâti un argumentaire complexe de 42 pages pour donner raison au gouvernement du Québec dans le dossier du registre des armes d'épaule. Unanimes, cinq juges de la Cour d'appel ont pris trois fois moins de pages pour renverser le jugement de première instance. Au plan juridique, il est difficile de ne pas leur donner raison.

Le gouvernement Harper a aboli le registre des armes d'épaule l'an dernier. Souhaitant mettre en place son propre registre, le gouvernement provincial a demandé à Ottawa de lui remettre les données recueillies au Québec. Le fédéral a refusé, préférant détruire les données en question. C'est pour le forcer à lui transférer les informations que la province s'est adressée aux tribunaux. Selon Québec, en jetant les données à la poubelle, le gouvernement du Canada lui met les bâtons dans les roues et, ce faisant, outrepasse ses compétences.

La Cour d'appel rejette cet argument. Rappelant qu'en 1995, des provinces avaient contesté le droit du fédéral de mettre en place un registre des armes à feu, les juges notent que la Cour suprême a alors confirmé la compétence d'Ottawa. «Si le fédéral avait la compétence pour édicter la Loi sur les armes à feu, il a aussi le pouvoir de la modifier par une loi subséquente», écrit la juge en chef, Nicole Duval Hesler.

Le juge Blanchard estimait qu'en refusant de donner les informations au gouvernement du Québec, Ottawa allait à l'encontre du fédéralisme coopératif prôné par la Cour suprême. La Cour d'appel souligne que le fédéralisme coopératif «est un principe interprétatif qui ne peut, en soi, modifier le partage des compétences.» Or, le droit criminel est sans conteste de compétence fédérale.

Voilà pour l'aspect constitutionnel de l'affaire. Toutefois, comme le font remarquer les cinq magistrats, «la question de l'efficacité et de l'utilité de tenir un registre sur les armes d'épaule en circulation est foncièrement politique.»

Or, au plan politique, le fédéralisme impose aux deux paliers de gouvernement de travailler ensemble dans l'intérêt des citoyens.

Dans le dossier du registre des armes d'épaule, en détruisant les données que souhaiterait utiliser le Québec pour mettre en place son propre système, le gouvernement Harper se rend coupable de sabotage et de gaspillage. Les coûts que devra assumer la province seront d'autant plus élevés. En quoi l'intérêt public sera-t-il servi?

Le litige sera maintenant soumis à la Cour suprême. D'ici là, le gouvernement conservateur devrait méditer ce passage du jugement rendu hier: «S'il doit y avoir un prix à payer pour avoir adopté une loi qui pourrait avoir pour effet d'engendrer des coûts inutiles pour un autre ordre du gouvernement, il se paie aux urnes et non pas (...) devant les tribunaux.»