Selon notre collègue Denis Lessard (La Presse, 11 mai), le gouvernement Marois est ennuyé par les effets imprévus de la Loi sur l'intégrité en matière de contrats publics, le projet de loi 1 adopté l'automne dernier. Le libellé très vaste de la loi, qui vise à empêcher quiconque ayant commis un geste répréhensible de profiter d'un contrat public, pourrait faire très mal à des entreprises importantes pour l'économie du Québec. Selon une source gouvernementale, la loi se révèle être un « carcan légal ».

Cette situation ne devrait surprendre personne. Lors de la présentation du projet de loi, plusieurs avaient averti le gouvernement. En cherchant à tisser le filet le plus grand et le plus serré possible, le texte remettait en question des principes fondamentaux de notre droit, par exemple la présomption d'innocence. Il menaçait aussi de priver de travail des milliers de personnes à cause du comportement douteux de quelques dirigeants.

En commission parlementaire, l'Association des ingénieurs-conseil du Québec s'était inquiétée « que le contexte de crise actuel ne pousse l'État à mettre des entreprises et des emplois à risque sur la seule base de perception exacerbée par les révélations entendues quotidiennement » à la commission Charbonneau. Le Barreau du Québec s'était lui aussi montré préoccupé.

Cependant, dans le climat de suspicion et d'indignation généralisées qui règne depuis plusieurs mois au Québec, de telles inquiétudes n'ont ému personne. Le gouvernement a fait quelques changements, mais la portée exceptionnelle du projet de loi est demeurée.

Voilà un bon exemple du danger de légiférer à la va-vite, pour des raisons partisanes ou sous le coup de l'émotion. Le gouvernement précédent avait succombé à la même tentation, à la puissance 10, lors de l'adoption du projet de loi 78 sur l'encadrement des manifestations étudiantes. Ce projet de loi, on s'en souvient, comportait des articles parfaitement raisonnables. Mais d'autres pouvaient avoir pour effet de limiter les droits fondamentaux des citoyens.

La loi 78 prévoyant la fermeture des collèges pour l'été, il n'y avait plus urgence; les articles les délicats auraient pu faire l'objet d'une étude plus approfondie. Au contraire, sans doute pour des raisons de stratégie électorale, le gouvernement Charest a foncé, au point qu'au cours de l'étude expéditive du texte, il fut évident que même les ministres responsables n'en saisissaient pas toute la portée.

On critique souvent la lenteur du processus législatif. Or cette lenteur est généralement justifiée. Dans un texte de loi, chaque mot a son importance et selon qu'on choisit un libellé ou une autre, les conséquences peuvent être considérables. Les députés doivent donc prendre tout le soin (et le temps) qu'il faut, même si (surtout si!) la pression populaire les pousse à faire vite.