«Nous respecterons les compétences fédérales et provinciales telles que définies dans la Constitution canadienne.»

«Nous respecterons les compétences fédérales et provinciales telles que définies dans la Constitution canadienne.»

- Stephen Harper, 19 déc. 2005

Le premier ministre, Stephen Harper, n'aura certainement pas le temps de lire À la recherche du temps perdu, que vient de lui faire parvenir l'écrivain Yann Martel. Par contre, il devrait aisément trouver les quelques minutes nécessaires à la lecture d'un document beaucoup moins poétique, mais néanmoins important: le jugement rendu mardi par la Cour d'appel de l'Alberta sur le projet du gouvernement fédéral de créer une commission nationale des valeurs mobilières.

Le projet de loi présenté par le ministre des Finances, Jim Flaherty, propose de remplacer les commissions provinciales de valeurs mobilières par un organisme pancanadien. M. Flaherty estime que la dispersion de la réglementation des marchés boursiers nuit à leur efficacité. En outre, il pense qu'une commission nationale serait mieux à même de prévenir les abus.

Plusieurs provinces, notamment l'Alberta et le Québec, s'opposent au projet fédéral, soulignant que le domaine des valeurs mobilières relève de leur compétence et qu'elles s'acquittent fort bien de leurs responsabilités en la matière. Tandis qu'Ottawa a demandé l'avis de la Cour suprême, le Québec et l'Alberta ont chacune requis le point de vue de leur cour d'appel. Le jugement de la Cour d'appel de l'Alberta donne raison aux provinces. Unanimes, les cinq juges balaient du revers de la main les arguments d'Ottawa. S'il lit la décision, le premier ministre se retrouvera en terrain familier ; la Cour d'appel y exprime une vision du fédéralisme qui fut longtemps la sienne.

Selon le tribunal albertain, le commerce des valeurs mobilières a toujours été de la compétence des provinces, relevant de la rubrique «propriété et droits civils» de l'article 92 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Le raisonnement du gouvernement canadien au sujet de l'efficacité d'une réglementation nationale n'émeut pas la Cour: «Les tribunaux ne peuvent pas réécrire la Constitution sous prétexte qu'il faut adapter le droit constitutionnel aux perceptions quant à la manière la plus efficace de gérer une fédération ou son économie. Le régime fédéral est caractérisé par une certaine inefficacité, mais la diversité et l'autonomie locale qui en résultent constituent ses principales forces.»

«Si le gouvernement du Canada veut obtenir une modification importante dans le pouvoir de réglementation de l'industrie des valeurs mobilières, ajoute la Cour, il doit entreprendre des négociations avec les provinces, non pas compter sur les tribunaux pour étendre radicalement ses prérogatives.»

Dans l'histoire récente du pays, il n'est pas arrivé souvent qu'un tribunal rappelle avec autant de clarté et de fermeté les fondements du fédéralisme. Espérons que la Cour suprême suivra le même chemin.