En 1983, l'historien et syndicaliste ivoirien Laurent Gbagbo publie un pamphlet contre la «dictature» alors au pouvoir dans son pays. Il propose «une alternative démocratique». Vingt-sept ans plus tard, c'est le même homme qui, défiant le verdict de l'élection présidentielle du 28 novembre, s'accroche au pouvoir. Après s'être longtemps battu pour la démocratie, après avoir dirigé tant bien que mal les destinées de son pays pendant une décennie, Gbagbo se comporte désormais comme le dictateur qu'il dénonçait. Ce faisant, il risque de traîner son peuple au mieux dans le marasme économique, au pire dans une guerre civile.

À l'issue du deuxième tour de la présidentielle, la Commission électorale indépendante a déclaré vainqueur le rival de toujours du président sortant, l'ancien premier ministre Alassane Ouattara. Ce résultat a toutefois été renversé par le Conseil constitutionnel. Depuis, Gbagbo et Ouattara se proclament tous deux président. La communauté internationale a tranché sans équivoque en faveur de Ouattara: l'ONU, les États-Unis, l'Union européenne, l'Union africaine, tous conjurent Gbagbo de céder sa place. Amnistie internationale et Human Rights Watch dénoncent les abus commis par les forces qui lui sont loyales. La présidente de l'International Crisis Group, la Canadienne Louise Arbour, affirme que les manoeuvres de Gbagbo doivent être considérées comme un «coup d'État».

Les pays membres de la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest sont allés jusqu'à évoquer la possibilité d'une intervention armée. Gbagbo ne bronche pas. Il dénonce un «complot» ourdi par l'ancienne puissance coloniale, la France, avec les États-Unis et les Nations unies. Tactique typique d'un usurpateur.

Jouissant après l'indépendance de l'économie la plus prospère de la région, le Côte d'Ivoire a vu son développement freiné, à compter de 1999, par les troubles politiques. Alors même que le continent noir connaît une croissance rapide, que tous les espoirs sont permis, les Ivoiriens voient leurs conditions de vie se détériorer. Selon le patronat local, si l'impasse n'est pas brisée, le pays «court à la catastrophe». Parce que les plantations vieillissent, la production de cacao, principale exportation du pays, stagne, ce même si le prix sur le marché mondial est en forte hausse. Autrefois enviées, les infrastructures sont aujourd'hui en piètre état. Même l'argent tiré des exportations de pétrole ne suffit pas au gouvernement pour les remettre à niveau. Dans la mesure où l'instabilité politique dure, la situation économique pourra seulement se dégrader.

Si l'historien devenu président persiste dans son entêtement, l'Histoire - justement - le condamnera. Son nom s'ajoutera à la longue liste des dirigeants africains qui ont préféré la satisfaction de leur ambition personnelle à l'amélioration du sort de leurs concitoyens.

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