Après la fuite de 92 000 documents américains confidentiels relatifs à la guerre en Afghanistan, certains ont fait un rapprochement avec les fameux Pentagon Papers, un rapport top secret publié en 1971 par le New York Times. Cependant, comme l'ont souligné nombre de journalistes et d'historiens, ces événements sont fort différents l'un de l'autre.

Le «dossier du Pentagone» était constitué d'une trentaine d'études commandées par le secrétaire à la Défense de John F. Kennedy, Robert McNamara, qui souhaitait disposer d'un historique détaillé de l'implication des États-Unis au Vietnam. Les quelque 7000 pages constituaient donc un tout cohérent, compilé par une équipe de fonctionnaires et d'universitaires. Il en ressortait que les administrations Kennedy et Johnson avaient systématiquement menti aux Américains au sujet du déroulement de la guerre.

Ce que le site WikiLeaks a publié, ce sont des milliers de rapports rédigés à chaud, rapports à peu près incompréhensibles sans une mise en contexte et contenant pour plusieurs d'entre eux des informations non vérifiées. Si certains documents démontrent que l'OTAN n'a pas toujours été transparente dans ses comptes rendus des événements, l'image d'ensemble correspond d'assez près à ce qu'on sait déjà du bourbier afghan.

Le contexte où surviennent ces deux incidents est également très différent. En 1971, la société américaine était profondément divisée au sujet de la guerre. Des dizaines de milliers d'Américains ont été conscrits et envoyés au Vietnam; 58 000 soldats américains y ont été tués. La guerre en Afghanistan est menée par des soldats professionnels, dont 1200 sont morts, presque 50 fois moins qu'au Vietnam.

Aussi, il n'y a pas de comparaison entre l'information disponible de nos jours et celle à laquelle on avait accès dans les années 60; les personnes informées ont une bien meilleure idée aujourd'hui de ce qui se passe en Afghanistan que c'était le cas pour leurs parents au sujet de l'horreur vietnamienne.

Tout en déplorant la publication du «journal afghan» par WikiLeaks, l'administration Obama a réagi plutôt sobrement. Au contraire, l'administration Nixon avait fait appel aux tribunaux pour empêcher le New York Times de publier le dossier du Pentagone, soutenant que cette publication menaçait la sécurité nationale. La Cour suprême trancha en faveur du quotidien. Selon les motifs rédigés par le juge Hugo Black, la vraie sécurité nationale repose non pas sur le secret mais sur le respect des droits garantis par la Constitution, notamment la liberté de la presse: «La conservation de secrets militaires et diplomatiques aux dépens d'un gouvernement représentatif et informé ne garantit pas à notre République une véritable sécurité.»

Cela reste vrai aujourd'hui. Et cela vaut pour le Canada comme pour les États-Unis.