Le projet de loi déposé hier par le gouvernement Charest propose des balises raisonnables aux décisions des organismes publics en matière d'accommodements pour motifs religieux. Par la laïcité ouverte dont il se réclame, le gouvernement est fidèle à l'histoire du Québec, une société foncièrement libérale.

Le projet de loi 94 établit que le voile intégral n'a pas sa place dans les services publics. Toute personne qui fournit ou qui reçoit un service du gouvernement ou d'un établissement public devra avoir le visage découvert. Dans les cas où un accommodement à ce principe serait néanmoins réclamé, l'organisme concerné devrait le refuser «si des motifs liés à la sécurité, à la communication ou à l'identification le justifient».

De façon plus générale, le projet de loi affirme que tout accommodement doit respecter le droit à l'égalité entre les femmes et les hommes et «le principe de la neutralité de l'État». L'importance de l'égalité des sexes, déjà affirmée à trois reprises dans la Charte des droits et libertés de la personne, est donc réitérée ici. Voilà qui devrait être suffisamment clair.

L'adoption de ce projet de loi réglera-t-elle le problème des accommodements pour motifs religieux? Non. Comme toute loi, celle-ci sera susceptible d'interprétations diverses, dans la vie de tous les jours comme devant les tribunaux. La diversité religieuse croissante des sociétés occidentales les confronte à des défis complexes qu'aucun texte de loi ne pourra relever à lui seul.

Au Québec, les tenants d'une laïcité pure et dure souhaiteraient qu'on interdise à tous les employés du secteur public de porter un signe religieux. Le gouvernement Charest opte plutôt, comme nous, comme la commission Bouchard-Taylor, pour une laïcité modérée. «Nous ne voyons aucune contradiction à ce qu'une personne puisse porter un signe religieux et faire son travail de manière professionnelle et impartiale», a dit le premier ministre. C'est aussi le point de vue qu'avait défendu avec éloquence le Bloc québécois devant MM. Bouchard et Taylor, le parti fédéral disant mal voir «la pertinence d'une interdiction globale, qui s'appliquerait à l'ensemble des fonctionnaires et des personnes à l'emploi des réseaux de la santé et de l'éducation.»

Le Bloc suggérait cependant que le port de signes religieux soit interdit pour «les fonctions qui, par leur nature même, doivent incarner la neutralité de l'État», tels les juges et les policiers. Cette suggestion nous semblait raisonnable. Le gouvernement l'estime juridiquement irréalisable. Il faudra y revenir en commission parlementaire.

La controverse suscitée par les accommodements raisonnables ne s'éteindra pas, d'autant que certains trouvent avantage à souffler sur la braise. Le projet de loi 94 a toutefois le grand mérite de clarifier, enfin, les principes dont doivent s'inspirer les gestionnaires publics.