Cette poussière qui s'élève du béton effondré, cache un temps la tragédie et colle à la peau des survivants, le monde l'a d'abord vue lors de l'effondrement des tours du World Trade Center, le 11 septembre 2001. Le 12 janvier 2010, autre date funeste, c'est une ville entière qui s'est affaissée et a été enveloppée par la même poussière beige. La triste poudre retombée, le jour levé, on a commencé à réaliser l'ampleur de la catastrophe. À chaque heure qui passe, ses dimensions terribles apparaissent: 100 000 morts? 300 000?

La poussière n'a pas seulement couvert la capitale, elle a enseveli l'espoir. Depuis l'élection du président René Préval en 2006, le pays semblait sur la bonne voie. Les projets de développement, financés à coups de centaines de millions par la communauté internationale, se multipliaient. Une certaine stabilité politique s'installait. L'aide au développement se concentrait sur l'amélioration de la gouvernance, la fourniture des soins et services de base, la préparation aux catastrophes naturelles. On pensait surtout aux ouragans et aux glissements de terrain. Les tremblements de terre? Le pays avait tant d'autres problèmes, le dernier séisme d'importance remontait à si loin. «Au moment où la ville s'écroulait, le ciel fut tellement obscurci par les tourbillons de poussière que l'on aurait dit une nuit complète», écrivait l'évêque du Cap haïtien en... 1842.

 

Les experts ne cessaient d'avertir les autorités. Par exemple, cet ingénieur géologue du Laboratoire national du bâtiment d'Haïti, Claude Prepetit, qui disait il y a moins d'un mois: «La région de Port-au-Prince a connu des séismes de magnitude supérieure à 7 en 1751 et 1770. Depuis lors, nous sommes entrés dans une période d'apparente quiétude pendant laquelle l'énergie continue de s'accumuler dans le sol. Le jour où les contraintes vont se relâcher avec fracas, les conséquences seront catastrophiques.»

En Haïti, les bâtiments sont extrêmement vulnérables, c'est connu. En novembre 2008, une école de Pétion-ville s'était effondrée d'elle-même, tuant des dizaines d'enfants. Inutile de dire que frappés par une séisme de magnitude 7, aucun de ces édifices d'allumettes n'a tenu. Toutefois, même si on avait mieux construit, le bilan serait épouvantable. Cette fois-ci, c'est moins l'homme qu'il faut blâmer que la nature. L'épicentre du tremblement de terre était situé près de la capitale; même les bâtiments réputés solides, dont le palais présidentiel, n'ont pu résister au choc.

Une fois qu'on aura compté les morts, soigné les blessés, logé les survivants, Haïti repartira à moins que zéro. La planète s'est rapidement et massivement mobilisée, ce qui témoigne non seulement de la solidarité humaine mais aussi de la grande affection que le monde a pour le peuple haïtien.

Malgré la stupeur, l'angoisse, il faut refaire une place à l'espoir: de la poussière doit surgir un jour un Haïti meilleur.