À la lecture du rapport de l'enquête commandée par le président Obama sur l'attentat raté contre le vol 253 de la Northwest Airlines, on est frappé par son approche et son langage bureaucratiques. Si des erreurs humaines ont été constatées, le document insiste sur un problème systémique: au sein des 16 agences impliquées dans la lutte contre le terrorisme, personne n'est officiellement responsable de suivre jusqu'au bout les pistes fournies par les informations amassées sur le terrain. C'est ainsi que les indices recueillis au sujet de Umar Farouk Abdulmutallab n'ont mené à aucune action particulière de la part des services secrets.

Les changements annoncés par le président américain sont aussi de nature bureaucratique, tout comme l'était la réorganisation des services de renseignement réalisée à la suite des attentats du 11 septembre 2001. Il n'y a rien là d'anormal: les gouvernements sont des bureaucraties. Celles-ci sont naturellement complexes et lourdes, mais il est difficile d'imaginer comment un État pourrait fonctionner autrement.

 

Malheureusement, ces bureaucraties semblent particulièrement inaptes à lutter contre une menace aussi diffuse que le terrorisme. Le temps que les gouvernements étudient, recommandent, mettent en place une nouvelle stratégie, l'organisation très décentralisée - peut-on encore parler d'organisation? - d'Al-Qaeda a déjà changé de moyens, d'objectifs, de repaires.

Les agences de renseignement occidentales sont tellement obsédées depuis 2001 par l'Afghanistan, le Pakistan et l'Irak qu'elles ont sous-estimé les risques que présente Al-Qaeda au Yémen, de l'aveu même du principal conseiller de Barack Obama pour la lutte contre le terrorisme, John Brennan. Beaucoup d'argent et d'énergie seront désormais investis dans ce pays. Sauf que les islamistes qui s'y cachent sont peut-être déjà en mouvement.

Les responsables du transport aérien ont réagi à l'attentat raté du 25 décembre d'une manière typiquement bureaucratique: une série de mesures de vaste portée, coûteuses, lourdes pour les passagers et... sans rapport avec les erreurs qui ont permis à Abdulmutallab de monter à bord du vol 253. On aura beau installer des scanners corporels et empêcher les passagers de se lever lors de la dernière heure d'un vol, ça ne donnera pas grand-chose si on ne se méfie pas de passagers qui, comme Richard Reid (le «shoe-bomber» de décembre 2001) et Umar Farouk Abdulmutallab, paient comptant pour un vol transatlantique aller seulement et n'enregistrent aucun bagage...

Al-Qaeda est aujourd'hui encore moins structurée qu'en 2001. Il est à craindre que cette évolution la rende plus difficile à traquer par des services de renseignement qui, de par leur nature bureaucratique, mettent beaucoup de temps à s'adapter aux nouvelles situations.