Revenu au Canada il y a un mois après être resté coincé au Soudan pendant six ans, Abousfian Abdelrazik a raconté jeudi qu'un agent du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) lui avait lancé, lors d'un interrogatoire: «Le Soudan sera ton Guantánamo.»

On ne sait pas si cette anecdote est véridique mais une chose est certaine: le Canada a bel et bien son Guantánamo. Il ne s'agit certes pas d'un centre de détention bâti sur une île lointaine. Toutefois, un nombre croissant de nos concitoyens ont été soumis à des traitements arbitraires, voire torturés, en raison de la négligence ou de la complicité d'agents canadiens. Pour mémoire, citons les cas de Maher Arar, Omar Kadhr, Ahmad Abou El Maati, Abdullah Almalki et Muayyed Nureddin, auxquels s'ajoute celui de M. Abdelrazik. Bien que sa situation ne soit pas reliée à la lutte contre le terrorisme, le meurtrier Ronald Allen Smith a lui aussi été abandonné à son sort (la peine de mort) par Ottawa, au mépris de ses droits fondamentaux (selon la Cour fédérale).

 

Dans tous ces cas, tribunaux et commissions d'enquête ont conclu que le gouvernement du Canada avait manqué à ses obligations de faire tout en son pouvoir pour accorder aux Canadiens concernés la protection de la Charte des droits et libertés. À cet égard, le calvaire d'Abousfian Abdelrazik est typique.

Soudanais d'origine, cet homme a obtenu sa citoyenneté canadienne en 1995. En 2003, il s'est rendu dans son pays natal pour voir sa mère malade. Il a été arrêté et emprisonné par les autorités soudanaises sans qu'on sache pourquoi. Il affirme avoir été torturé. Au début de sa détention, le gouvernement canadien est venu à son secours. Mais lorsqu'Ottawa a appris qu'Abdelrazik avait été placé sur la liste noire du Conseil de sécurité de l'ONU, il l'a laissé tomber. Or, les raisons pour lesquelles Abdelrazik se trouve sur cette liste ne sont pas claires. Les Américains soutiennent qu'il fait partie d'Al-Qaeda, mais ils n'ont pas fourni d'élément de preuve. De son côté, le SCRS dit ne disposer d'aucune information en ce sens.

On ne peut pas exclure la possibilité que les soupçons au sujet de M. Abdelrazik soient fondés. Il n'en a pas moins droit au respect de ses droits fondamentaux. «Les droits conférés par la Charte ne dépendent pas de la sagesse des choix que font les Canadiens, de leur sens moral ou de leurs idées politiques», a soutenu le juge Zinn. Le juge a ordonné à Ottawa de rapatrier ce ressortissant canadien.

Les agents du SCRS et des Affaires étrangères ne sont pas seuls responsables de la mise en place de ce Guantánamo virtuel. L'abus systématique des droits de certains Canadiens résulte de l'absence de message clair venant des autorités politiques, en particulier depuis que les conservateurs sont au pouvoir. Il est grand temps que le gouvernement du Canada l'affirme, solennellement et fermement: la lutte contre le terrorisme et le crime doit être menée dans le respect de la Charte canadienne des droits et libertés, pas en dépit d'elle.

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