Les Québécois aiment croire qu'ils forment une société plus juste, plus solidaire que les autres sociétés du continent. En témoigneraient les généreux programmes sociaux qu'ils se sont donnés au cours des ans.

Pourtant, nous tolérons depuis des décennies que des malades soient parqués dans des couloirs d'urgence pendant des heures, voire des jours, sans intimité, sans confort, presque sans soins. Les Québécois acceptent aussi en silence que des milliers de personnes âgées vivotent dans des centres d'hébergement où le personnel est mal formé, ou pas formé du tout, pour s'occuper d'eux. Des quasi-mouroirs où ils sont traités comme des enfants ou des débiles, où personne, surtout pas leur famille, ne vient les voir, leur parler, leur prendre la main.

Ces constats intolérables sont faits à intervalles réguliers par les médias (voir les reportages récents d'Ariane Lacoursière et de Pascale Breton dans La Presse), par le protecteur du citoyen, par la Commission des droits de la personne et combien d'autres. Les partis au pouvoir, les ministres, les comités, les plans d'action se sont succédé; un quart de siècle après que Robert Bourassa eut dénoncé la «médecine de guerre» prévalant au Québec, nous sommes pratiquement au même point.

En 10 ans, le budget consacré à la santé par le gouvernement du Québec a augmenté de 10 milliards. Dix milliards ! L'argent a-t-il été investi aux bons endroits?

Parlant de la situation dans les urgences et les centres d'hébergement pour personnes âgées, la chef du Parti québécois, Pauline Marois, a dénoncé mardi l'«échec flagrant» du gouvernement libéral. Compte tenu des engagements solennels pris par Jean Charest en 2003, l'expression est trop faible. Néanmoins, Mme Marois aurait mieux fait de s'abstenir. Ministre de la Santé il y a 10 ans, n'avait-elle pas elle-même lancé un «plan d'action global (...) pour trouver une solution définitive à la situation vécue dans plusieurs salles d'urgence»? Les politiciens devraient cesser de promettre quoi que ce soit en ce domaine; leur crédibilité est celle des charlatans.

La dure réalité, c'est que les besoins croissent beaucoup plus vite que les ressources qu'on arrive à y consacrer. Il faudrait donc concentrer encore plus les ressources publiques dans les secteurs prioritaires du système de santé. Malheureusement, les Québécois préfèrent éparpiller ces ressources parmi tous ces programmes et avantages dont ils si entichés: centres de la petite enfance à tarif modique, congés parentaux et assurance médicaments particulièrement généreux, droits de scolarité et tarifs d'électricité incroyablement bas. En eux-mêmes, ces politiques peuvent avoir des effets bénéfiques. Mais au regard du pénible sort des patients dans les urgences et des vieux dans les centres d'hébergement, peut-on sérieusement considérer toutes ces dépenses comme prioritaires?

Élus, bureaucrates, soignants et simples citoyens, nous avons le devoir moral de tout faire pour que les malades, les personnes âgées notamment, soient traités avec plus d'efficacité, de compassion et de dignité. À défaut, il faudra conclure que loin d'être solidaires, les Québécois sont plutôt horriblement égoïstes.