« Je reste perplexe », a déclaré François Legault, interrogé au sujet du refus fédéral d’accorder une autorisation de voyage à Carles Puigdemont.

Il y a de quoi être perplexe, en effet. Tant selon ce qu’on sait de cette affaire qu’en raison de ce qui demeure nébuleux.

Il y a de quoi, aussi, douter de la bonne foi du gouvernement fédéral dans ce dossier.

Stéphane Handfield, avocat de Carles Puigdemont, a expliqué aux médias qu’Ottawa dit avoir des « motifs raisonnables » de croire que l’ancien président de la Catalogne serait « interdit de territoire au Canada » en vertu des accusations portées contre lui en Espagne.

Fort bien. Mais comment se fait-il que la demande ait été refusée plusieurs mois après avoir été présentée, dans la foulée de nombreux échanges, alors que ces accusations sont au cœur du litige depuis le tout début ?

L’avocat s’en dit surpris. C’est en effet, au mieux, déconcertant.

Et ça semble, hélas, cohérent avec le fait que le gouvernement canadien tente de se tenir aussi loin que possible du dossier catalan.

Vous l’aurez remarqué : les libéraux à Ottawa n’ont commenté que du bout des lèvres les dérives les plus récentes de l’État espagnol. Pourtant, ils dénoncent souvent avec vigueur la répression ciblant des opposants politiques lorsqu’elle se produit au sein de dictatures.

Rappelons que le 14 octobre, neuf indépendantistes catalans ont été condamnés à des peines allant de 9 à 13 ans de prison pour sédition et détournement de fonds. Ce verdict a été rendu en lien avec l’organisation d’un référendum deux ans plus tôt. Réaction de Justin Trudeau dans la foulée de cette décision : il a affirmé qu’il s’agissait d’une « affaire interne espagnole ».

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Carles Puigdemont fait lui aussi face à des accusations de « sédition et détournement de fonds publics », que plusieurs estiment – avec raison – politiques. En vertu de ces accusations, un deuxième mandat d’arrêt a été lancé contre lui il y a deux semaines par la justice espagnole (il s’est réfugié en Belgique, pays qui doit décider en décembre s’il sera extradé). Le premier mandat d’arrêt comportait aussi une accusation de rébellion qu’un tribunal allemand a rejetée l’an dernier.

La décision rendue par Immigration Canada à son sujet n’est donc pas dénuée de tout fondement. Elle est toutefois un peu courte.

PHOTO KENZO TRIBOUILLARD, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

L’ancien président de la Catalogne Carles Puigdemont

On ne sait même pas si le Canada a des raisons de croire que l’infraction pour laquelle Carles Puigdemont doit être jugé en Espagne en constituerait une – ou pas – ici aussi. Le ministère de l’Immigration n’a pas voulu aller aussi loin. Et malheureusement, comme le politicien catalan refuse de donner son accord pour qu’Ottawa offre aux journalistes plus de détails sur son cas, il est impossible d’en savoir plus.

La décision d’Ottawa est par ailleurs, par défaut, politique. Car qui veut, peut. Le Canada aurait pu laisser entrer Carles Puigdemont même s’il fait face à des accusations en Espagne. Le ministre de l’Immigration jouit d’un pouvoir discrétionnaire à cet effet. Il peut par exemple délivrer un permis de séjour temporaire.

C’est ce qu’Ottawa a fait il y a quelques années lors de la controverse hautement médiatisée entourant la venue du militant écologiste et député européen José Bové. Celui-ci a obtenu le feu vert du ministre même s’il possédait un casier judiciaire et s’il s’était présenté au Canada sans avoir fait la demande pour un tel permis au préalable.

Tenez, imaginons un instant que l’opposant vénézuélien Juan Guaido veuille entrer au Canada… Même si la justice vénézuélienne a ouvert des enquêtes contre lui, notamment pour usurpation de la fonction présidentielle et pour haute trahison, il est évident qu’Ottawa ne lui mettrait pas de bâtons dans les roues.

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Vrai, l’Espagne n’est pas le Venezuela. Vrai, les indépendantistes catalans ont donné dans la provocation en 2017, défiant le gouvernement espagnol en organisant un référendum jugé illégal.

Mais ce gouvernement exerce désormais contre eux une répression qui n’est pas à la hauteur des valeurs et des principes défendus par une démocratie.

Or, ni le Canada ni les pays de l’Union européenne n’osent le rappeler à l’Espagne, même en mettant des gants blancs. Cette pudeur ne les honore pas.

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