« Un évènement historique oublié. » Ces mots ont été utilisés hier par le quotidien chinois publié en anglais, Global Times, pour décrire le massacre de la place Tiananmen.

Le pire, c’est que c’est vrai. La répression sanglante orchestrée par le régime chinois dans la nuit du 3 au 4 juin 1989 a été complètement occultée en Chine, où la liberté d’expression est strictement encadrée.

On a imposé l’oubli. Et ça semble hélas avoir plutôt bien fonctionné. D’où l’importance, ici et partout ailleurs à l’extérieur des frontières chinoises, de commémorer l’évènement. Il s’agit d’un devoir de mémoire crucial.

Se souvenir de cet évènement est non seulement nécessaire, c’est aussi fort utile. Parce que, pour paraphraser Churchill, regarder dans le passé nous permet de mieux voir l’avenir.

Et tant le massacre que la réaction de la communauté internationale par la suite aident à mieux comprendre l’attitude de la Chine au cours des dernières décennies et, jusqu’à un certain point, à prédire où elle va.

Hier, à l’Université Concordia, dans le cadre de la conférence Montréal #DroitsHumains, on avait invité l’un des manifestants qui étaient sur la place Tiananmen en 1989, Yang Jianli. Il n’a (inexplicablement) pas pu obtenir de visa pour entrer au Canada, mais le directeur de l’Institut montréalais d’études sur les génocides et les droits de la personne, Kyle Matthews, a lu l’intervention qui devait être livrée de vive voix par le dissident.

Selon Yang Jianli, depuis 1949, « les leaders du Parti communiste chinois sont obsédés par l’idée de se maintenir au pouvoir ainsi que par la stabilité intérieure et ils sont paranoïaques quant à la création de factions, les mouvements séparatistes et toute dissidence ».

C’est pourquoi le sang a coulé en 1989. Certains politiciens chinois ont voulu mettre de l’eau dans leur vin et entamer des pourparlers avec les étudiants — cette position était celle du secrétaire général du parti, Zhao Ziyang —, mais ce sont en fin de compte les tenants de la ligne dure qui ont gagné.

En raison de l’opacité du régime, il est impossible de savoir combien de personnes sont mortes dans la nuit du 3 au 4 juin 1989. Des centaines, voire des milliers. On sait cependant que tous les espoirs de changement des jeunes Chinois ont été, eux, anéantis.

Les démocraties se sont indignées, oui, évidemment, mais pas si vigoureusement en fin de compte. Ce qui a eu pour effet de doucher les espoirs des manifestants et de consolider le régime en place.

Trois décennies plus tard, ce régime n’a pas dévié de sa trajectoire. 

L’actuel président, Xi Jinping, dirige le pays d’une main de fer (la répression à laquelle font face les Ouïgours, qui a aussi été dénoncée hier à Montréal, en est un exemple extrême) et se donne les outils pour accentuer encore un peu plus l’emprise de l’État sur la population.

On est en train de mettre à profit les nouvelles technologies afin d’améliorer le dispositif de surveillance de masse, notamment à l’aide d’un système de points pour évaluer les citoyens et d’instruments de reconnaissance faciale, qui semblent tout droit sortis de l’imagination de George Orwell.

Ce modèle suscite l’inquiétude, à juste titre. Pourtant, il a la cote ces jours-ci. Les citoyens des démocraties occidentales ont le moral dans les talons et critiquent leurs dirigeants et leurs institutions (on peut heureusement se le permettre lorsqu’on vit sous un régime démocratique !).

PHOTO CHIANG YING-YING, ASSOCIATED PRESS

Des touristes chinois marchent devant des ballons reproduisant la célèbre scène, samedi dernier
à Taipei, Taiwan.

Cela renforce encore un peu plus la légitimité du modèle chinois aux yeux de ses promoteurs, alors que la croissance demeure au rendez-vous et que le pays dispute aux États-Unis le titre de première puissance économique mondiale.

De quoi donner raison au Global Times qui, citant l’amélioration rapide du niveau de vie en Chine et évoquant « l’incident de Tiananmen », a aussi soutenu hier que « l’immunité de la Chine contre tout trouble politique à l’avenir » a grandement augmenté.

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